Et si à l’occasion d’une nouvelle production du Vaisseau Fantôme à l’Opéra des Flandres, on rouvrait le dossier épineux du chant wagnérien, avec cette question initiale : quelles voix pour interpréter Wagner sachant que lors de la création du Fliegende Hollander, aucun chanteur n’avait reçu la formation nécessaire pour appréhender un nouveau style d’écriture vocale ? La réponse se trouve à la source de l’inspiration de Wagner lorsqu’il composa à Paris ce que Bayreuth considère comme l’alpha de son répertoire : Weber, Meyerbeer, Bellini et en remontant le fil, Rossini, c’est-à-dire une maîtrise des codes belcantistes sans laquelle on ne saurait restituer aux personnages du Vaisseau fantôme leur véritable identité vocale.
Voilà précisément, à deux exceptions près, ce qui fait défaut aux chanteurs réunis sur la scène de l’Opéra de Gand. Résultat : on s’époumone, on force sa voix, on se fatigue, l’aigu se dérobe et la justesse devient aléatoire. Tel est le cas – éprouvant – de Ladislav Elgr, ténor tchèque familier du répertoire slave, dont l’engagement obstiné ne saurait pallier la déficience du legato et l’absence de lyrisme nécessaire au rôle d’Erik. Tel est également le cas de Liene Kinča, soprano incandescente dotée d’un médium d’acier – deux des conditions souvent requises par Wagner – mais dont le chant, hélas, se consume dans le brasier que, vaillante, elle a elle-même allumée : Senta incendiaire et brûlée plus morte que vive dès son duo avec Le Hollandais, contrainte lors du dernier acte de se réfugier dans ce qui tient du cri plus que de la note. Tel est aussi le cas d’Adam Smith, timonier particulièrement sollicité par la mise en scène, répondant aux sollicitations scéniques mais oubliant la grâce mozartienne d’un rôle de ténor léger. Tel est enfin, dans une moindre mesure, le cas de Dmitry Ulyanov, Daland ivre de puissance vocale, trop occupé à produire du son pour se soucier de ligne et d’elegance. Deux exceptions, écrivions-nous : Raehann Bryce-Davis à laquelle Mary n’offre pas l’occasion d’exposer les qualités qui lui valurent en juillet dernier au Cap le 3e prix du Belvédère ; et Markus Marquardt. Appelé pour remplacer Iain Paterson souffrant, le baryton basse à suffisamment d’expérience pour habiter un rôle dont il possède tant les notes que l’héroïsme inébranlable. Cette même expérience caractérise vocalement son interprétation d’un Hollandais dont le métal patiné raconte les années d’errance sur des mers inhospitalières.
© Annemie Augustijns
Là où le chant manque, le théâtre surabonde, par l’investissement dont font preuve tous les chanteurs, par la direction enfiévrée de Cornelius Meister – à laquelle il faudrait un orchestre plus aguerri pour répondre aux exigences symphoniques de la partition – et par la virtuosité de la mise en scène. D’aucuns reprocheront à Tatiana Gürbaca ne pas suivre à la lettre le livret. Débarrassée de toute référence au cadre et à l’époque de l’intrigue, son approche, résolument abstraite, se concentre sur le mouvement dans un décor unique, géométrique et doré, sorte de ring – au sens sportif et non wagnérien du terme – à l’intérieur duquel les corps se toisent, se cherchent, se cognent, se dénudent et, une fois damnés, se badigeonnent d’un liquide noirâtre. Ce travail sur les corps trouve son aboutissement dans la vaste scène des marins au début du troisième acte avec, revers de la médaille consécutif aux gesticulations demandées, la perte de cohésion d’un chœur de l’Opera Vlaanderen jusqu’alors formidable.