En confiant Der Freischütz à la compagnie 14 : 20 qui depuis plusieurs années associe la magie à différentes formes de spectacle vivant, le Théâtre des Champs-Elysées s’offre une production visuellement frappante d’une œuvre exigeant son lot de mystère et d’illusions.
Si le décor (ou plus précisément l’absence de décor fixe, réduit à des rideaux, un cadre, des marches et un miroir amovibles) ainsi que les costumes (désespérément gris) refusent tout ancrage spatio-temporel et n’ont rien pour attirer l’œil, on assiste assez émerveillé à ces apparitions d’hologrammes, à ces lévitations d’objets aussi bien que de personnes, à ces jeux d’ombres, à ce portrait de l’aïeul Kuno plus vrai que nature, à ces balles maléfiques circulant dans l’espace où à ces quelques vidéos venant habiller la scène.
Cela fonctionne formidablement, cela ne fait aucun doute ; mais le revers de la médaille est une direction d’acteurs qui passe à la trappe : Max et Kilian tournent en rond au lever du rideau, le trio du deuxième acte se chante face public, à l’avant-scène… Et que dire de ce climax dramatique qui tombe à l’eau lorsqu’Agathe, supposée morte, semble laisser tout le monde indifférent (Max et Kuno y compris) ? Enfin un détail peut-être, mais d’une importance cruciale : pourquoi ne porte-t-elle pas la couronne de fleurs données par l’Ermite ? Sans elle, le personnage ne devrait pas être sauvé…
Les chanteurs font heureusement preuve d’assez de présence et d’énergie pour pallier un peu ce vide dramatique ; mais on attend d’une mise en scène qu’elle donne de la consistance à l’action et aux personnages, non qu’elle les circonscrive à l’avant du plateau.
Le second point qui pose question dans cette production est la présence très réduite de la forêt. Elle apparaît parfois dans des vidéos, belle, luxuriante, mais ce sont des chasseurs très déconnectés du monde végétal et animal qui nous sont montrés. Un cri d’alarme écologiste probablement (qui aurait alors mérité d’être davantage exploité), mais privant l’opéra d’un support dramatique important pour l’action et les personnages. Ce choix peut faire sens, mais oublier la forêt dans ce chef-d’œuvre de description musicale de la nature qu’est le Freischütz c’est un peu, sans mauvais jeu de mot, se tirer une balle dans le pied.
Le public, partagé entre les applaudissements et les huées, semble donc avoir hésité entre l’enchantement de cette mise en scène où la magie fonctionne à merveille, et ses inaboutissements.
© Vincent Pontet
L’Insula Orchestra dirigé par Laurence Equilbey met heureusement tout le monde d’accord : voilà un Weber précis, subtil, qui laisse entendre tous les solos et ne noie pas la partition dans de grands débordements fortissimo. Les paysages se dessinent, les sentiments des personnages aussi : l’écriture novatrice et hyper évocatrice du compositeur est ici parfaitement servie, d’autant plus lorsqu’Adrien La Marca vient offrir un splendide solo d’alto.
Du côté des voix, on attendait tout particulièrement le premier Max de Stanislas de Barbeyrac, qui y trouve un rôle tout à fait à sa mesure. Dramatiquement, il semble parfaitement se fondre dans ce jeune héros vif et torturé et le timbre, particulièrement sombre, convient tout à fait à ce répertoire. On aurait espéré, par endroits, une voix un peu plus brillante, un peu moins obscurcie ; mais la prise de rôle est réussie.
La soprano sud-africaine Johanni van Oostrum est une Agathe sensible, pleine de nuances (notamment dans son air du troisième acte, « Und ob die Wolke ») et qui passe aisément l’orchestre grâce à une très bonne projection, tout particulièrement dans l’aigu. On peut malgré tout se demander si la voix n’est pas un peu légère pour le rôle, si ses longues phrases n’exigent pas davantage d’épaisseur. Mais cette question d’esthétique mise à part, la soprano se révèle tout à fait convaincante dans son interprétation.
L’Ännchen de Chiara Skerath lui sert de contrepoint comique particulièrement réussi : vive, décidée, s’emparant du texte et vocalement impeccable, et Vladimir Baykov campe un Kaspar très abouti aussi bien dramatiquement que vocalement, grâce à une énergie constante et un timbre percutant. Son duo avec Max fonctionne particulièrement bien tant il s’y montre insidieux, et le moins que l’on puisse dire est qu’il donne de sa personne dans la scène de la fonte des balles.
Le Kuno de Thorsten Grümbel est un conteur remarquable ; dommage que la voix soit un peu engorgée, défaut qu’il partage avec le Kilian d’Anas Séguin. Quant à Ottokar et à l’Ermite, respectivement interprétés par Daniel Schumtzhard et Christian Immler, ils possèdent de très belles voix qu’on aurait bien voulu entendre dans des rôles plus conséquents.
Enfin, il convient de saluer la très belle performance du danseur Clément Dazin en Samiel – menaçant mais poétique, sortant le personnage de la caricature – et du chœur Accentus, au son pur et limpide.
C’est donc un Freischütz en demi-teinte, qui déçoit sur certains aspects comme il enthousiasme sur d’autres ; du moins la magie aura-t-elle opéré.