Les dialogues parlés à l’opéra ont toujours posé question, et le Freischütz, héritier du singspiel, ne fait exception. Ce soir au Théâtre des Champs Elysées, ils ont purement et simplement disparu de cette version de concert, au profit d’un monologue quelque peu boursouflé de Samiel, le Chasseur Noir, sans véritable lien avec l’intrigue. Le public parisien n’était-il pas capable de suivre les dialogues parlés originaux (alors que le spectacle est surtitré) ? Ou, alternativement, une traduction française de ces mêmes dialogues n’aurait-elle pas été préférable à ce texte grandiloquent ?
Graham F. Valentine, dans la peau de Samiel, a beau avoir de la présence, avec un physique inquiétant et une voix bien grinçante, on n’en perd pas moins le fil dramatique de l’histoire : ne reste alors du Freischütz qu’une succession d’airs sans squelette narratif.
Dommage car l’orchestre insuffle dès l’ouverture une belle atmosphère et véritable tension. La direction de Thomas Hengelbrock est très dramatique peu avare en contrastes et crescendos. Il souligne tour à tour le caractère rustique (le chœur des paysans est terrien à souhait), les élans romantiques ou le fantastique angoissant (impressionnante scène de la Gorge-aux-Loups, ululante et grinçante) de la partition. Il est parfaitement suivi par un NDR Sinfonieorchester Hambourg en grande forme : des cors virtuoses aux bois caressants en passant par les violoncelles, tous les pupitres seraient à citer. Tout cela serait parfait si un aspect de cette œuvre composite ne semblait sacrifié. En effet, l’humour et la légèreté manquent singulièrement dans cette lecture : à aucun moment le rire du chœur des paysannes au premier acte ne sonne ni joyeux ni même ironique, tandis que l’on comprend aisément que la chansonnette d’Annette « Kommt ein schlanker Bursch gegangen » peine à dérider la soucieuse Agathe.
Annette (Christina Landshamer) ne manque pourtant pas de piquant. Elle a la voix idoine pour le rôle, légèrement pointue sans être acide, elle se joue aisément des passages plus virtuoses. Véronique Gens a déjà abordé Agathe en 2013 à Berlin. Elle semble cependant sous tension, gardant sa partition à la main tout au long de la soirée. La soprano a des qualités à faire valoir dans ce rôle, dont un timbre velouté qui s’apparie à merveille avec celui de sa partenaire du soir. Pourtant les sublimes langueurs et les élans passionnés d’Agathe lui restent ce soir en partie inaccessibles, faute d’abandon et de transparences dans les aigus.
Son Max a la voix claire mais un peu mate de Nikolaï Schukoff. Le ténor autrichien, dont le répertoire va de Mozart à Wagner, est à son aise dans ce rôle romantique, et parvient à faire exister, le temps de ses airs, un Max plutôt falot et apeuré. Dimitry Ivashchenko (Gaspard) ne fait pourtant pas aussi peur que le rôle l’autoriserait. Ce n’est pas faute de volume sonore, plus que confortable, ni dû à un problème de tessiture, parfaitement assumée, mais plus de couleur : le suppôt du diable pourrait sonner plus crépusculaire, notamment pour son credo infernal « Schweig, schweig » dans lequel il est quelque peu malmené par le tempo effréné imprimé par le chef.
Les autres rôles sont fort bien tenus, notamment par Christoph Liebold, Killian jeune et expressif issu du chœur NDR d’Hambourg. Les chœurs du WDR Rundfunkchor Köln et NDR Chor Hamburg, fortement sollicités, sont d’ailleurs impeccables. On notera cependant avoir entendu chœurs des chasseurs plus impressionnants au troisième acte, peut-être dû à l’emplacement des choristes en fonds de scène.
On notera enfin la présence luxueuse de Franz-Josef Selig pour la courte intervention de l’Ermite : si le vibrato est audible, reste une présence et une humanité superbes.