Comme le déplorait Roselyne Bachelot dans sa chronique hebdomadaire sur France Musique, il est incompréhensible que Le Freischütz, œuvre majeure du début du XIXe siècle – célébrée notamment par Wagner, Berlioz et Debussy – ait été si peu représenté en France. Aucun des opéras de Weber n’a d’ailleurs été joué à l’Opéra de Paris depuis cinquante ans. Au Théâtre des Champs-Élysées, la première représentation du Freischütz a eu lieu le lendemain de son inauguration en 1913, puis une autre en 1999. Sauf erreur, à l’exception d’une production à l’Opéra Comique en 2011, c’est cette mise en scène de 2019, créée à Caen, montrée à Aix-en-Provence, puis en Allemagne et au Luxembourg qui a enfin fait un retour très attendu à Paris au Théâtre des Champs-Elysées.
Il faut dire que ces deux représentations rouennaises ont, elles, bénéficié d’un rodage préalable. Certains spectateurs ont assisté à une Introduction à l’œuvre, bien utile pour s’y retrouver dans une histoire compliquée transposée ici dans un « temps suspendu ». Incidemment, sur réservation, le public rouennais se voit souvent offrir des avantages stimulants : répétition générale gratuite, atelier sortilège le dimanche en matinée pour les enfants dont les parents assistent au spectacle. Plus, une nouvelle initiative conviviale favorisant les échanges entre spectateurs : l’apéro des critiques quelques jours après la dernière représentation d’un opéra.
Afin de remporter la succession d’un prince en même temps que la main de sa fille, un jeune chasseur aguerri doit remporter un concours de tir. Craignant d’échouer il se livre à un suppôt de Satan qui lui propose des balles magiques. Suivent diverses péripéties diaboliques : visions terrifiantes, orage, cauchemar, malédictions, couronne de roses mortuaire puis salvatrice, évanouissements… avant un dénouement heureux.
© Julien Benhamou
En ce soir de première, l’atmosphère intime du Théâtre des Arts et son acoustique chaleureuse permettent à l’orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie de démontrer son excellence sous la baguette amoureuse de Laurence Equilbey en symbiose avec le fantastique travail visuel fait de transparences, de suggestions jamais invasives, réalisé par la Compagnie 14:20. Mêlant avec science poésie et magie en phase avec la musique, surgissant du noir, cette lecture intemporelle favorise l’écoute du riche discours instrumental bondissant de Weber avec ses leitmotivs et ses nuances colorées, entrecoupé de dialogues parlés. Images vidéo, apparitions, disparitions, suggérant les états d’âme de personnages doubles et complexes… les mouvements mesurés des solistes comme des masses chorales ainsi que leurs costumes d’une remarquable sobriété contribuent à la concentration nécessaire au spectateur pour goûter pleinement la beauté du chant jusqu’au magnifique finale choral et orchestral repris par les six chanteurs solistes.
Principal rôle masculin, Stanislas de Barbeyrac dispose des moyens vocaux requis par Max qui demande à la fois romantisme et vaillance. Dans ce nouveau fleuron de sa carrière en phase ascendante, le jeune ténor s’impose aisément dès sa première grande aria, « Durch die Wälder, durch die Auen » (Par les forêts et par les plaines). Quant à Agathe, sa bien-aimée, elle trouve en Johanni van Oestrum une interprète sensible et nuancée pourvue d’un soprano velouté. Avec sa voix légère et son tempérament enjoué, Chiara Skerath (bien qu’annoncée souffrante) incarne Annchen, la jeune parente, avec humour et brio. Les duos de ces talentueuses sopranos sont un vrai délice. Le puissant baryton-basse russe Wladimir Baykov, spécialiste des rôles wagnériens, est un Kaspar aussi maléfique que convaincant. Christian Immler (Eremit), Thorsten Grümbel (Kuno) et Samuel Hasselhorn (Ottokar), Anas Seguin (Kilian) complètent le plateau vocal. Il faut également mentionner l’excellent jongleur, danseur, Clément Dazin, interprète de Samiel.
Longue ovation rouennaise, bien méritée par un public majoritairement ravi et bienveillant !