Pour ouvrir le prestigieux Osterfestpiele (le Festival de Pâques délocalisé de Salzbourg à Baden-Baden), le Festspielhaus proposait vendredi une nouvelle production du Chevalier à la rose mise en scène par Brigitte Fassbaender. Belle idée que de confier cette réalisation à celle qui a été l’un des grands Octavian de son temps et s’est retirée des scènes en 1995. Sa direction d’acteurs est subtile et tout au service des performances vocales qu’elle a évidemment contribué à perfectionner. Si les décors d’Erich Wonder se distinguent par leur sobriété (un immense canapé en guise de lit puis de salon de réception et des images projetées en fond de salle, pour l’essentiel), l’utilisation des transparents permet un étagement de couloirs de circulation intéressant et donne à voir tous les espaces (chambre, antichambre et extérieur) à la fois. L’idée est simple et plutôt réussie. Les costumes de Dietrich von Grebmer mélangent passé et présent avec des degrés de réussite divers : les couleurs sont, notamment dans la scène du grand lever de la Maréchale, très (trop) criardes, ce qui agace certains spectateurs qui auraient sans doute préféré davantage d’élégance et de distinction. Mais le caractère grinçant de la comédie et le ton doux-amer de l’œuvre en sont accentués. Le vrai problème de ces transparents est plus grave, nuisant à une parfaite perception des sons, malheureusement en partie absorbés par le manque de réverbération, ce qui est évidemment dommageable pour les auditeurs les plus éloignés.
Maréchale quasi hollywoodienne, Anja Harteros allie un physique mieux qu’avantageux à une approche du rôle tout en délicatesse, nostalgie, autodérision et désespoir mêlés. Chaque mot est ici pesé, muri, vécu. On reste pantois devant tant de justesse, d’évidence et de beauté. En merveilleux contrepoint, l’Octavian de Magdalena Kožená est impeccable de fougue et de jeunesse. Parfaitement à l’aise dans toutes les facettes de son personnage, dirigée par son époux dans la fosse, elle illumine la soirée. Sans être transcendante, Anna Prohaska habite néanmoins avec intensité et flamme une délicieuse Sophie malgré une assez petite voix, agréable membre d’un quatuor épatant grâce à Peter Rose, parfait Ochs, génial dans sa diction d’un idiome viennois graveleux et ridicule à souhait.
Autour d’eux, les seconds rôles complètent avantageusement une distribution de haut vol et Lawrence Brownlee se taille un beau succès en chanteur solaire et poseur, juste ce qu’il faut d’exagéré. Les deux intrigants tirent habilement leur épingle du jeu, tout comme Faninal impérieusement campé par Clemens Unterreiner.
Dans la fosse, Sir Simon Rattle dirige le Philharmonique de Berlin avec maestria mais aurait dû prêter davantage attention à la balance sonore, car de chaque pupitre se dégage une virtuosité parfois tonitruante. C’est dommage, les voix étant trop souvent couvertes par l’orchestre, mais la richesse des timbres est habilement mise en valeur.
Au final, on sort de ce Rosenkavalier avec un vague sentiment de frustration, devant une mise en scène assez inventive et drôle mais qui aurait pu l’être davantage, des décors qu’on aurait aimés plus spectaculaires, des voix plus parfaitement audibles et un orchestre sinon moins absolument virtuose mais un peu plus sensible. On est comme devant un magnifique bouquet de roses cramoisies dont la flétrissure prochaine est déjà perceptible. Mais n’est-ce pas aussi ce que cet opéra met en musique et en lumière ?