En composant le Nain, le compositeur Zemlinsky avait vu grand : il souhaitait disposer d’un orchestre symphonique et d’un chœur à la Mahler. Il faut venir au Festival Enesco à Bucarest pour l’entendre avec cet effectif. Car généralement, lorsqu’on donne cette œuvre – ce qui est rare – c’est dans une version orchestrale réduite. Ce fut le cas il y a quelques années, lors des représentations scéniques à Lille et à Rennes.
Ici, l’œuvre a été donnée en version de concert, avec projections vidéo.
Inspirée d’une nouvelle d’Oscar Wilde, l’histoire est celle, cruelle, d’un nain qui a été offert comme… cadeau d’anniversaire à une infante d’Espagne. Traité par elle comme un jouet, il n’en tombe pas moins amoureux. Elle finit par le délaisser en lui faisant découvrir son visage dans un miroir. Prenant conscience de sa laideur, il meurt de désespoir.
Il y a une part d’autodérision dans cette œuvre car, selon les témoignages, Zemlinsky était petit et laid. Il n’avait pas su retenir son élève Alma Schindler dont il était amoureux, qui alla épouser Gustav Mahler.
L’orchestre et le choeur de la Radio roumaine dans un environnement d’images vidéo. (Photo A.P.)
Cette œuvre recèle une double force musicale et dramatique. Schönberg disait : « Je ne connais aucun compositeur postwagnérien qui a su satisfaire avec autant de noblesse que Zemlinsky aux exigences du théâtre ».
A Bucarest pas de mise en scène, donc, mais un tournoiement d’images vidéo qui balayaient la scène sur le fond et les côtés. Elles nous faisaient voir ici des caricatures de personnages, là des fleurs en train d’éclore, ailleurs des nageuses plongeant dans une piscine. Parfois, on se demandait ce que ces images avaient à voir avec l’histoire, mais elles donnaient du panache au spectacle. De temps à autres apparaissait un fragment de texte en lettres géantes – comme un « Ich liebe dich » qu’on n’aurait pas renié dans Tristan et Isolde. Visiblement, l’artiste vidéaste débordait d’imagination !
Du côté vocal c’est, si l’on peut dire, le nain qui domina la distribution – en l’occurrence le ténor américain Rodrick Dixon : voix corsée, chaleureuses inflexions sur toute la longueur de la tessiture, belle conduite du chant. Pour ce qui est des autres solistes, impossible de les juger car le festival avait eu en effet la mauvaise idée de sonoriser les voix. Celles-ci apparurent distordues – à part, précisément, celle du ténor qui bénéficia de la clémence des micros. L’interprète du principal rôle féminin, Lucia Cesaroni, a été, elle, pénalisée.
La baguette était tenue avec autorité par le remarquable Oleg Caetani, fils du légendaire chef d’orchestre Igor Markévitch – qui fut lui-même un contemporain de Zemlinsky. Oleg Caetani donna tout le poids qui convenait à cette musique post romantique. C’est le mérite du Festival Enesco de nous l’avoir fait découvrir ainsi. Car lorsqu’on voit la grande scène de l’Auditorium de Bucarest couverte par quelque deux cents musiciens et choristes, on ne peut que constater : le Nain c’est géant !