Pour ce concert, le Philharmonique de Radio France mettait à l’honneur le post-romantisme autrichien avec Mahler et Bruckner. Malgré la proximité géographique et temporelle des deux compositeurs, il faut admettre qu’il y a tout un monde entre les lieder oniriques et bariolés de Des Knaben Wunderhorn et la monumentale Quatrième Symphonie du maître de Sankt Florian programmée en deuxième partie. Les deux œuvres se font néanmoins les témoins d’une fin de XIXe siècle où résonnent les appels d’un cor venu d’un autre temps.
Retenons de la première partie, celle consacrée à Mahler, surtout la présence d’Ekaterina Gubanova et de Dietrich Henschel. Les rôles sont clairement répartis d’emblée : c’est la mezzo qui chante les comptines sur les bagues et les jeunes filles, tandis que le baryton revêt l’uniforme du soldat. Notons pour Gubanova avant tout une diction remarquable, loin de ce que l’on pouvait attendre de la chanteuse plutôt habituée au répertoire italien et russe. Forte de sa présence travaillée, elle captive son auditoire tant par ses compétences musicales certaines que par la richesse de son timbre onctueux. Avec autant de moyens, les différents éclairages nous transportent d’une humeur à l’autre : « Das irdische Leben » et ses allures de « Erlkönig » nous fait trembler, tandis que l’on se prend à rêver et s’alanguir avec « Rheinlegendchen ».
Ces effets de contrastes, Dietrich Henschel les maîtrise également. Si la présence est un rien monolithique dans « Lied des Verfolgten im Turm », la tension ne tardera pas à se défaire pour notre chanteur, qui nous fera frissoner dans « Wo die schönen Trompeten blasen ». C’est surtout vocalement que nous devons émettre quelques réserves. Malgré tous ses efforts pour accrocher sa voix dans le masque, le baryton ne se défait pas d’une émission assez tendue dans les aigus. La puissance et le métal pourraient rappeler le placement particulier d’un Fischer-Dieskau dans Mahler, mais on ne se défait pas de l’impression d’un geste vocal pénible pour le chanteur. Le registre grave quant à lui est souvent couvert par un orchestre pourtant léger, mais c’est ici que l’excellente diction vient au secours d’une voix qui ne porte pas suffisamment, garantissant une compréhension parfaite durant toute la performance.
Dans cette première partie, Eliahu Inbal brille non seulement par la clarté et la précision de sa baguette, mais aussi par sa capacité à rester à l’écoute de nos deux solistes. Les marches de verbunkos ne sont (heureusement) pas tonitruantes, le chef préférant les habiter d’une vivacité contagieuse.
Après l’entracte, nous quittons le cor merveilleux de Mahler pour retrouver celui de Bruckner, dans cette introduction surréelle que sont les premières minutes de la Romantique. Tout le monde retient son souffle, et le cor solo (magnifique Antoine Dreyfuss) s’avance sur le tapis de cordes préparé par le chef. Le premier mouvement tonitruant fait place à un adagio qui laisse la part belle aux grandes phrases dans les pupitres de cordes. Le Scherzo étrange dans ses contrastes ne fait que nous préparer à l’écrasant finale, où dans une coda au bord du précipice, Bruckner retient notre haleine jusqu’à l’éclatant Mi bémol Majeur conclusif. Dans cette symphonie « romantique » mais tout de même bien médiévale, avec ses allures de cathédrale gothique, c’est surtout le sens de la construction de Eliahu Inbal qui frappe. Avec une direction taillée dans le vif, le chef fait se volatiliser les longueurs de la partition, et tire tous les registres de son orgue gigantesque pour s’assurer un succès bien mérité auprès du public de la Philharmonie.