Wolfgang Amadeus MOZART
(1756-1791)
Le Nozze di Figaro
Dramma giocoso en quatre actes
Livret de Lorenzo Da Ponte
D’après La Folle Journée ou Le mariage de Figaro
de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais
Reprise
Production du Grand Théâtre de Genève
Mise en scène : Nicholas Hytner
reprise par Stephen Taylor
Décors et costumes : Maria Bjornson (†)
Lumières : Simon Trottet
Il Conte Almaviva : Ludovic Tézier
La Contessa Almaviva : Nuccia Focile
Susanna : Sophie Karthäuser
Figaro : David Bizic
Cherubino : Valentina Kutzarova
Bartolo : René Schirrer
Don Basilio : Loïc Félix
Don Curzio : Michel Lecomte
Antonio : Alain Domi
Barbarina : Anaïs Mahikian
Deux jeunes filles : Karine Bergamelli, Dilan Ayata-Benet
Chœurs de l’Opéra national du Rhin
Dir. Michel Capperon
Orchestre Philharmonique de Strasbourg
Direction musicale : Roland Böer
Strasbourg, Opéra, 20 décembre 2008
Des Noces déniaisées
Reprise d’une production montée en 2004 (et elle-même reprise d’une production genevoise) que nous avions alors fort appréciée, ces Nozze séduisent toujours autant par leurs superbes décors, qui campent l’action dans le XVIIIe siècle français, et une mise en scène reposant sur une direction d’acteurs parfaitement réglée rendant l’ensemble dynamique et extrêmement vivant. Hytner ne s’en cache pas, c’est moins l’aspect politique que la guerre des sexes qui l’intéresse. Etant donnée la réussite de cette vision, on est toujours aussi convaincu par ce parti pris qui rend l’action si proche de l’intemporel et donc, de nous-même. Il est ainsi réjouissant de voir une Suzanne malicieuse et supérieurement intelligente, un Cherubino travaillé par ses hormones, un Figaro espiègle et sympathique ou un Comte manipulé et parfois dépassé par les événements.
Par contre, on reste toujours aussi sceptique face à au dernier acte dont le décor est soudain fort pauvre par rapport aux intérieurs élégants des actes précédents. Quelques arbres (aux troncs très raides) parsèment la scène mais sans organisation précise : rien de français là-dedans (contrairement à ce qu’exprime Nicolas Hytner dans le programme). En fait, on a du mal à saisir ce qu’Hytner veut dire avec ce décor : on n’est ni dans un jardin à la française, qui serait un reflet de la rigidité des intérieurs symétriques précédents (les personnages seraient ainsi tout autant « prisonniers » d’un ordre moral – symbole d’une société permissive), ni dans un jardin à l’anglaise, ni même dans une nature « sauvage » qui serait alors le symbole d’un échappatoire à l’ordre symbolisé par les tableaux précédents (un lieu où, libérée, la vraie nature des êtres se révèlerait). Ce manque de clarté, on doit le dire, gâche un peu la réussite de l’ensemble et c’est fort dommage. Nous espérions que le metteur en scène aurait apporté un peu de netteté – si ce n’est quelques modifications – à son propos…
Toujours est-il que la reprise de la production, menée par Stephen Taylor, est remarquable : la direction d’acteurs est subtile et les chanteurs se montrent parfaitement à l’aise dans cette scénographie.
Musicalement, l’équipe est en effet presque totalement renouvelée. Menant l’ensemble avec maestria, le chef Roland Böer – qui fait ici ses débuts en France – mérite bien des éloges pour sa direction dynamique et acérée pouvant se fonder sur un Philharmonique de Strasbourg des grands jours. Mais il sait également insuffler une finesse remarquable tant aux instrumentistes qu’aux chanteurs. Les reprises des airs sont ainsi ornementées et les cadences agréablement « improvisées ». Cette finesse se retrouve lorsqu’il accompagne les récitatifs sur un très beau piano-forte. Son imagination et sa subtilité sont alors tout autant admirables et appréciables.
Les chanteurs ainsi parfaitement guidés semblent donner le meilleur d’eux-mêmes.
Comme en 2004, les hommes dominent légèrement l’ensemble, à commencer par le Comte de Ludovic Tézier qui trouve dans le personnage du Comte (comme dans celui de Posa dans Don Carlos qu’il chanta ici même), un rôle qui le met parfaitement en valeur. Noblesse de la ligne, beauté du timbre, finesse et élégance du chant, tout est ici confondant. Le comédien se montre par ailleurs très à l’aise. Une réussite absolue.
Le Figaro de David Bizic est lui aussi remarquable. Chanteur élégant, à la voix belle et sonore, fin comédien, il campe un parfait valet, loin de toute caricature et emphase. Il en est de même pour le Bartolo de René Schirrer qui, bien qu’en méforme (le timbre est un peu blanc et la voix moins sonore), fait toujours preuve d’une finesse d’incarnation et d’un chant impeccable qui nous réjouit depuis des années tant à la scène qu’au disque.
Impeccable également le Basilio de Loïc Félix, remarquable ténor au très beau timbre et au chant particulièrement soigné malgré un rôle comique qui pourrait amener à malmener la ligne. Ici, que d’élégance et de charme !
Côté femmes, on se situe à un niveau un peu moindre, du moins en ce soir de première. La Susanna de Sophie Karthäuser déçoit beaucoup dans les premiers actes ; la voix est terne et a du mal à s’épanouir. On a du mal à reconnaître l’Ilia qui nous avait enchanté l’an dernier dans Idomeneo. Au fur et à mesure de la soirée cependant, la chanteuse se libère et se montre plus à l’aise dans les actes III et IV. La comédienne est par contre parfaite de bout en bout.
Que vient faire Nuccia Focile dans le rôle de la Comtesse ? Cette chanteuse qui nous a séduit par exemple dans Eugène Oniéguine, ne nous semble pas à sa place dans un rôle qui réclame une voix « instrumentale », une rondeur, une pureté, un moelleux qu’elle ne possède pas (ou plus). Le Porgi amor, à l’attaque incertaine, expose un vibratello assez désagréable qui, heureusement, s’estompera au fur et à mesure de la soirée. Son Dove sono la montre à court de souffle dans la partie finale. Bien sûr, tout cela est fort joliment fait (musicalité, finesse, caractérisation) mais il y a un manque d’allure, si ce n’est un certain maniérisme, qui trahit une inadéquation entre la voix et le personnage. Quel contraste avec son mari de Comte campé par un Ludovic Tézier qui lui, affiche une très grande classe !…
Admirable Cherubino de Valentina Kutzarova. Le timbre superbe, corsé, est en parfaite adéquation avec le personnage. La chanteuse est en outre particulièrement élégante, sa maîtrise du chant mozartien excellente. Elle offre ainsi un Voi che sapete splendide, avec un soutien orchestral excellent, qui en fait un des grands moments de la soirée.
Jeanette Fischer est elle aussi parfaitement à son affaire avec le rôle de Marcellina qu’elle campe avec toute la « gouaille » nécessaire, mais là encore, sans en rajouter dans l’expression. Bravo.
Ravissante enfin la Barbarina d’Anaïs Mahikian mais des chœurs modestes et en décalage répété avec l’orchestre. Dommage.
Une reprise heureuse donc d’une production qui montre que l’on peut être intéressant en respectant l’époque de l’action d’un opéra qui se déroule au XVIIIe siècle !
Pierre-Emmanuel Lephay