Sa première Traviata, à Monaco en février, nous avait laissé sur le flanc. Dans un rôle réputé pour ses multiples difficultés, Desirée Rancatore prouvait qu’elle était plus qu’une colorature montée en graine. Six mois après, à San Sebastián, la soprano italienne confirme l’à-propos de son orientation vocale. Paradoxalement, c’est dans le premier acte, le plus virtuose, que cette Violetta nous convainc le moins. Mais est-ce un paradoxe ? La voix, pour embrasser une partition qui outrepasse ses moyens naturels, a dû renoncer à sa légèreté. Conséquences : un vibrato exagéré et des stridences dans l’aigu. La vocalise reste satisfaisante, le contre mi bémol du « Sempre libera » est toujours là – on n’admettrait pas de la part d’une ancienne Olympia qu’il fût esquivé – mais la note longuement tenue perce l’oreille. Rien de tel par la suite. Dès le duo avec Germont, le chant retrouve une stabilité qu’il ne quittera plus. La plainte lui sied mieux que l’éclat, le « Dite alla giovine » mieux que l’« Amami Alfredo ! » et à l’acte suivant, l’« Addio del passato » mieux que le « Gran Dio ! morir si giovine ». Mais, si modeste puisse-t-elle paraître comparée à d’autres, l’ampleur n’est jamais prise en défaut. La musicalité est souveraine, la gestion du souffle toujours placée au service de l’expression. Comme à Monte-Carlo, la justesse de ton, ce mélange difficile de sincérité et d’engagement, achève de valider l’interprétation.
La mise en scène de Susana Gómez ne favorise pourtant pas l’investissement dramatique. Avec Rita Hayworth pour modèle, perruque rousse à l’appui, elle brille par son absence d’idées, par l’indigence du mouvement et par le reflet aveuglant des lumières dans le mur de miroirs qui lui sert de décor.
En Alfredo, José Bros n’est pas un perdreau de l’année mais le chant a conservé toute sa fraîcheur : égal, sonore, tonique. Des nuances et, dans le duo du dernier acte (« Parigi, O cara »), un usage inhabituel de la voix mixte compensent l’excès de nasalités. Ángel Ódena ne bénéficie pas de la même expérience. A renfort de détimbrage (« Pura siccome un angelo ») et de sons grossis (« Di Provenza il mar »), ce Giorgio Germont ose beaucoup, réussit parfois, au détriment de la justesse souvent. Les seconds rôles, tout comme le Coro mixto Easo, contribuent à l’impression générale de qualité.
L’acoustique du Kursaal, ce parallélépipède de verre placé il y a une quinzaine d’années au bord de la mer en allégeance à une inévitable modernité, favorise l’Orquesta Sinfónica de Euskadi. La fosse, si profonde qu’on ne voit même pas la tête du maestro, donne aux deux préludes une transparence wagnérienne. Légèrement plus rapide que la moyenne, la direction de Pietro Rizzo témoigne de la familiarité du chef d’orchestre avec le chef d’œuvre de Verdi.