Toutes les remises en lumière de compositeurs oubliés ne se font pas avec le même bonheur. C’est hélas le sort réservé à Henri Desmarest ces derniers mois. Après l’annulation de la résurrection de sa Didon pendant l’épidémie de Covid, après deux intégrales peu réussies de sa Circé, son Iphigénie ne convainc pas vraiment du génie de son auteur non plus. Lacunes de l’œuvre, ou insuffisances de la représentation, toujours difficile à dire lors d’une recréation.
Commençons par examiner l’œuvre : inachevée car Desmarest a dû fuir le pays peu avant la fin de sa composition pour épouser celle qu’il aimait sans l’accord de son père. C’est le non moins célèbre André Campra qui termina la partition. Alors, est-ce le premier en partant, ou le second en arrivant ? Cette musique nous a souvent semblé manqué d’ambition, et répondre au plus pressé. Le livret n’aide pas non plus : quelle idée par exemple d’avoir ramené Electre en Tauride ! Le rôle-titre est complètement satellisé au premier acte, absent aux II et III, puis occupe tout l’espace au point d’éjecter Electre aux deux derniers. Et quelle gestion chaotique de la tension dramatique : d’interminables et répétitifs hommages à Diane viennent saborder l’action, et les finales des acte III et IV font tellement pschitt qu’on est surpris que la musique s’arrête. Qui plus est, la poésie des librettistes n’est pas des plus profondes ou inventives. On ne vous parle pas du prologue. Dur de comprendre ce qui a fait le succès de cet attelage en son temps. Dans tout cela citons quand même une belle danse et tempête de Triton, un superbe duo Iphigénie/Oreste et un doucement mélancolique chœur « Que les plaisirs suivent nos peines » au dernier acte. Mieux vaut tout de même éviter de comparer l’œuvre avec ce que Gluck fera de la même histoire quelques décennies plus tard, ce serait cruel.
On peut aussi penser que les musiciens de ce soir n’ont pas défendu cette musique comme ils l’auraient pu. A commencer par l’orchestre et son chef. L’effectif est toujours historiquement justifié et placé (le plaisir de voir cette dizaine de vents à jardin et le chef entouré de sa pléthorique basse continue telle une garde rapprochée), pourtant le tout manque terriblement de nerf, c’est une masse magnifiquement sonnante mais la force tranquille, ce n’est pas très trépidant. Hervé Niquet et son Concert Spirituel sont pourtant connus pour animer ce répertoire comme personne (Callirohé, Sémélé, Proserpine, pour ne citer que 3 brillants exemples). On pense donc très vite à un manque de répétitions, surtout en entendant le manque de clarté dans la diction du chœur dont c’est pourtant l’une des signatures.
Dans ce contexte, c’est aux chanteurs d’apporter leur énergie pour que l’action fasse vibrer les planches. Hélas, peu se donnent cette mission et ils restent trop souvent cachés derrière leur pupitre. Ne blâmons pas les petits rôles, bien chantants mais limités à des utilités. Nous serons moins indulgents avec le Thoas transparent de David Witczak, alors que son rôle regorge de fureurs, il donne le plus souvent l’impression de réciter poliment, jusque dans son appel à Neptune dénué de toute envergure. Floriane Hasler réussit à l’inverse à dépasser les limites de son rôle univoque par une présence forte et une déclamation souveraine, véritable puissance divine, tonitruante et gracieuse. Olivia Doray propose un chant tendu très élégant et raffiné, mais manque de véhémence pour donner vie à son personnage. Reinoud van Mechelen intervient rarement mais avec l’entrain qu’on lui connait depuis peu et les superbes voix et élocution qu’on lui connait depuis longtemps. Déception pour Véronique Gens cependant, que l’on sait capable de tellement plus et qui semble ce soir en sous-régime. Avec autant de métier et de connaissance de ce répertoire, les réflexes sont là pour assurer l’essentiel, mais point de texte ciselé ou d’expressions fouillées pour celle qui quitte difficilement sa partition des yeux. Louanges en revanche pour Thomas Dolié qui sort la salle et ses collègues de leur torpeur dès son apparition à la fin du deuxième acte, en investissant chaque syllabe, jouant avec l’orchestre, n’ayant pas peur de grossir le trait efficacement sans jamais trahir la partition, et occupant l’espace avec verve, un vrai modèle.