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ROSSINI, Il viaggio a Reims — Milan

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Spectacle
7 avril 2009
Deux artistes pour un voyage tardant à déménager

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Détails

Il viaggio a Reims (Rossini, Dantone – Milan)

Gioachino ROSSINI (1792-1868)

Il viaggio a Reims

Dramma giocoso in due parti.

Libretto di Luigi Balocchi.

Contessa di Folleville: Annick Massis

Corinna: Patrizia Ciofi

Madama Cortese: Carmela Remigio

Marchesa Melibea: Daniela Barcellona

Cavalier Belfiore: Juan Francisco Gatell Abre

Conte di Libenskof: Dmitry Korchak

Lord Sidney: Alastair Miles

Don Profondo: Nicola Ulivieri

Barone di Trombonok: Bruno Praticò

Don Alvaro: Fabio Capitanucci

Don Prudenzio: Alessandro Guerzoni

Don Luigino: Enrico Iviglia

Maddalena: Paola Gardina

Delia: Aurora Tirotta

Modestina: Annamaria Popescu

Antonio: Filippo Polinelli

Zefirino: Patrizio Saudelli

Gelsomino: Fabrizio Mercurio

Coro e orchestra del Teatro alla Scala di Milano

Ottavio Dantone

Production de Luca Ronconi (1984)

Milano, Teatro alla Scala, 7 avril 2009 (Première) 

Deux artistes pour un voyage tardant à déménager

C’est au lendemain du tremblement de terre dans les Abruzzes qu’avait lieu la première d’Il Viaggio a Reims au Teatro alla Scala. Dans une Italie meurtrie, cette actualité sombre conditionna l’atmosphère qui entoura le retour de la production légendaire de Luca Ronconi, quelques vingt cinq ans après la résurrection in loco du chef-d’œuvre du Pesarese. Le Surintendant Lissner annonça le versement de la recette de la soirée1 au bénéfice des victimes. Cette attention unanimement accueillie, se conclut par une minute de silence. Ce geste compréhensible, plomba pourtant encore plus la chape quasi palpable dans l’illustre théâtre. Comment faire décoller ensuite le plus extravagant des opéras ? La première partie encaissa le coup avant l’emballement d’un second acte concluant à souhait.

Cette reprise historique de Luca Ronconi décline un des évènements belcantistes de la saison européenne. Le spectacle n’a pas pris une ride ! Légèrement adapté par le metteur en scène lui-même, il voit quelques accessoires neufs (pas tous indispensables à la clarté du propos), l’actualisation des vidéos à la ville de Milan (procédé où Ronconi fut un précurseur, ensuite pillé jusqu’à la nausée). La mise en scène et tous les métiers connexes (superbe compagnie de marionnettistes Carlo Colla & Figli), n’appellent que des éloges pour la fluidité de l’œuvre avec sa première partie de près d’une heure trois quarts ! La magie opère toujours autant avec son impressionnante galerie de portraits dont aucun n’est négligé.

Autre condition indispensable, une baguette digne de ce nom. A la tête du luxueux orchestre de la Scala, Ottavio Dantone déçoit. Appelé à un tout autre répertoire, le chef, tout en remplissant en professionnel aguerri son ouvrage, n’insuffle à aucun moment l’esprit pétillant et l’ironie espiègle qui transcendent cette géniale thématique. Rossini a composé le meilleur des champagnes, Dantone nous sert un spumante correct mais quelque peu éventé.

Au niveau vocal ? Des surprises tout azimut et des émotions en tous genre !

Les comprimari sont à féliciter, la plupart offrant le luxe en quelques répliques de donner une épaisseur à leur personnage. Mention spéciale pour la belle et bien chantante Maddalena de Paola Gardina. Le Prudenzio d’Alessandro Guerzoni n’exhibe qu’une sympathique émission dégonflée. Fabio Capitanucci remplit à satiété son rôle. Son Don Alvaro est solide, efficace et ne manque pas de mordant. Toutes nos excuses à Bruno Pratico dont nous avions prématurément vendu l’impayable perruque rousse. En Trombonok, même s’il est désormais incapable de lier deux notes, il compose un savoureux maître de cérémonie, faisant oublier son extraterrestre Dandini parisien. Il participe pleinement au réchauffement progressif de la planète scaligère, embarquant collègues et public dans son délire teuton. On apprécie pour l’occasion, qu’il fasse appel à une sobriété d’effets du meilleur goût. Il nous est de plus en plus difficile de supporter les deux ficelles de cabotinage servant de métier à Nicola Ulivieri. Exhibant systématiquement les mêmes tics de bellâtre dans Mozart, Rossini ou Donizetti, cette manie de se photocopier ad vitam aeternam, irrite et n’arrive même plus à dissimuler les prosaïsmes d’une émission surestimée.

Autre surprise agréable, Alastair Miles dans la redoutable partie de Lord Sydney. Pétri d’humanité, il campe un aristocrate émouvant avec une juste pointe de flegme british. Miles a compris quel était l’enjeu de ce rôle taillé aux mesures d’un Galli ou plus précisément de Carlo Zucchelli, le créateur du rôle. Son colonel lance toutes ses forces dans la bataille et sa prestation mérite le respect. Sa grande scène « Ah ! Perchè la conobbi », offre de beaux moments différenciés dans ses nuances, généreusement soutenue dans le phrasé. La cabalette (irrésistible prestation du flûtiste Davide Formisano !) emporte, à peu d’éléments près, l’approbation. Un rien d’extension dans les deux extrêmes, une vocalisation un rien plus endurante et Miles signait un très grand Lord.

Dans ce redoutable concours de chant qu’est le Viaggio, la prestation des ténors est attendue. Mais où étaient donc Brownlee, Siragusa et Florez ? Dmitry Korchak, dont la prestation, à juste titre, se fait généreusement chambrer par les loggionisti, nous récite dans Libenskof, la fable de la grenouille qui voulait être plus grosse que le bœuf. Le résultat se distingue par des sonorités aigues forcées d’une rare laideur, un chanteur obnubilé par son volume, omettant au passage de nous définir qui il est (nous dûmes vérifier qu’il s’agissait bien du chanteur entendu cet été à Pesaro…), une voix incolore au service d’un personnage indigent. Faut-il que les agents soient puissants, pour imposer ce qui n’aurait jamais du paraître sur l’une des premières scènes d’Europe !

Même si à notre sens, il est peut-être prématuré de lui offrir un premier cast en Cavalier Belfiore, sur une scène d’une telle importance, Juan Francisco Gatell Abre est une bien jolie découverte. A peine trentenaire, il fréquente judicieusement Mozart, Paisiello, Cimarosa et quelques Rossini légers. Fort d’une présence plus que séduisante, il dessine toute en finesse, un Chevalier libertin avec un encanaillement de bon aloi. Le magnifique duo avec Ciofi fonctionne à merveille. Un ténor sensible, dont on soulignera la volonté stylistique dans le phrasé, ne forçant jamais des moyens à la belle qualité mais d’une projection encore limitée. Voilà en quoi il serait regrettable de brûler prématurément les ailes de ce qui est pour nous, encore un espoir, notamment en l’exposant trop vite sur des scènes de première importance. Un nom à suivre en tout cas, indéniablement…

Quelle joie de retrouver une radieuse Daniela Barcellona au plus haut niveau de ses moyens non négligeables ! La mezzo soprano semble avoir retiré un enseignement de la période de disette de titulaires, qui vit sa surexploitation dans un calendrier de folle furieuse. Melibea constitue un de ses meilleurs emplois. Il lui donne avant tout l’occasion d’un bel hommage – en tout cas sur le plan scénique – à la regrettée Lucia Valentini Terrani à tout jamais associée au rôle. Sa Marchesa est proprement irrésistible, vous fichant un sourire jusqu’aux deux oreilles. Ce charisme ne fait malheureusement qu’une bouchée de son bien palot Libenskof, déséquilibrant quelque peu leur duo. Vocalement, elle donne dans le Barcellona de haut vol : projection insolente, timbre capiteux mais, tricheries en diable pour une vocalisation qui n’a jamais résolu ses problèmes de netteté. Il faut oublier Horne et Podles pour apprécier l’art de Barcellona. Cela n’ôte rien à un des plus beaux succès de la soirée.

Carmela Remigio apparaît comme une bonne professionnelle qui ne marquera pas le rôle si souvent sacrifié de Madama Cortese. Omettant que sa créatrice (Ester Mombelli) était en pleine possession de ses moyens de Prima Donna, l’aubergiste au bonnet bien vissé, a vu défiler l’improbable Frau Studer, les meurtrissures d’une Ricciarelli déjà blessée à mort et bien entendu, le désopilant, mais inacceptable one woman show d’une Caballé décochant des pommes à tout va en guise de dialectique rossinienne… Payant les excès d’un répertoire disparate et dépassant souvent ses moyens, Remigio affiche une émission vibrée, pauvre en harmoniques qui ne trouve son salut que dans les ensembles où elle s’avère relativement efficace. Sa grande aria « Di vaghi raggi adorno » n’est pas digne de la belcantiste qu’elle prétend être, tandis que le « vivo sillabico » conclusif la laisse totalement dépassée.

Malgré tout ce qui les différencie tant au niveau vocal que de leur personnalité, nous saluons conjointement les prestations des deux artistes que sont Annick Massis et Patrizia Ciofi. Réunies dans un même idéal musical, elles ont dans ce Viaggio, parfaitement rendu l’essence de ce chef-d’œuvre : le pastiche que Rossini s’applique à lui-même, dans ce monstrueux catalogue de difficultés vocales, véritable lexique grammatical de tout qui veut affronter le Rossini serio. Hors ici, le génial compositeur va l’appliquer à ce monument de second degré, dans une leçon d’autodérision dont il avait le secret. Cet exercice est ardu, la limite est fragile et la tentation de verser dans la farce est grande. Leurs numéros d’équilibriste est remarquable, dans le sens où tout en faisant rire, elles n’omettent jamais d’être des cantatrices de premier plan. Là se situe la première réussite de ces deux sopranos possédant en commun des emplois comme Amenaide, Lucia, Elvira, Amina ou Violetta.

Pour apprécier la Corinna de Patrizia Ciofi, il nous faut admettre une titulaire plus légère que la créatrice (la légendaire Pasta). Cecilia Gasdia à son meilleur, était-elle un reflet plus fidèle ? Nous ne le pensons pas. Gasdia pourtant, y demeure une bien belle icône. C’est davantage dans ce souvenir que Patrizia inscrit sa Corinna polymorphe. Multipliant les nuances, osant de longs mélismes mélodiques, sa Poétesse capte une écoute attentive dès son entrée éthérée. Tour à tour drôle de sainte nitouche avec Belfiore, délicieuse avec Milord, elle sera désopilante dans ses échanges de rivales (excellemment suggéré par le metteur en scène), lorsque la Massis l’assomme d’un interminable contre mi au milieu du final du I. A croquer physiquement, Ciofi confirme une fois encore l’intelligence musicale qui est sienne et pourquoi, envers et contre tout, elle demeure une des cantatrices les plus attachantes du paysage lyrique actuel.

Soixante dixième prise de rôle pour Annick Massis, se souvenant de la Cinti Damoreau, elle ajoute donc Folleville à son répertoire. Nul doute que ce rôle de culture italienne mais réclamant un chic parisien, se décline en haute couture sur mesure musicale pour cette ambassadrice du chant français. Malgré un léger accroc (Mucosité sur la voix ?), l’irascible public milanais comprenant l’incident, va lui réserver un énorme succès personnel dès la première moitié de son « Partir, oh ciel ! Desio ». Adèle de Formoutiers de référence, sa Folleville n’en est pas moins remarquable d’innovations. Scéniquement, son personnage est une réussite complète. A l’image de sa coiffure irrésistible, elle ne cesse de rebondir dans la quatrième dimension qui est la sienne. Aristocratique Folleville déjantée et frivole, elle émeut pourtant dans le cantabile du « Donne, voi sol comprendere », quand drapée dans l’étendard de sa France, elle va chanter seule, sur la scène du plus prestigieux théâtre italien. Elle réitère l’hommage rendu à Cuberli avec sa Matilde di Shabran. Vocalement, les détails de sa scène se peaufineront naturellement avec la série de spectacles, tandis que les récits sont d’une rare intelligence. Enfin, Massis, avec sa précision et sa liberté, se définit en clef d’arc des ensembles architecturaux dont l’incroyable Gran Pezzo Concertatore a 14 voci.

Au final, on se dit que la bonne gestion de l’argent public n’est peut-être pas impossible pour un théâtre conscient de son passé. Hormis un Dantone qui se ramasse un léger savon, l’équipe entière recueille un important succès collectif. Neuf représentations attendent encore les milanais, pour cet opéra pour lequel la Scala a déployé d’importants moyens médiatiques2 .
Philippe PONTHIR

(1) http://www.voceditalia.it/articolo.asp?id=30989

(2) Radiodiffusion en direct et diffusion sur internet, captation télévisée par la troisième chaîne italienne, enfin, captation en HD pour diffusion internationale dans les cinémas. Prévu à Paris le dimanche 28 juin 2009 à 15h00 au Carrousel du Louvre. 

Pour écouter légalement Il Viaggio a Reims : http://www.musicme.com/#/Compilation/Il-Viaggio-A-Reims-0028947774358.html

Pour le livret de l’opéra : http://www.karadar.com/Librettos/rossini_reims.html

 

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