Il y a quelques décennies, une publicité télévisée prétendait dédramatiser l’emploi de certains accessoires hygiéniques féminins en mettant en scène une conversation naturelle et détendue entre jeunes filles. Y étaient vantés les mérites de la marque allemande « o.b. ». De nos jours, pour qui veut rendre vie à un siècle d’opérette française, c’est un Obé qui semble indispensable à notre hygiène musicale. Au vu du succès éclatant remporté par toute une série de spectacles, que seraient aujourd’hui Offenbach, Claude Terrasse ou Raoul Moretti, sans Flannan Obé ? Qui aurait pu être mieux que lui le prince/princesse Hermosa de L’Ile de Tulipatan ? Qui d’autre, tout récemment, pour interpréter le domestique Honoré dans Un soir de réveillon ? Grâce à sa formation initiale d’acteur et à sa puissance vocale, Flannan Obé est désormais celui sur qui peut reposer en confiance toute entreprise de résurrection d’œuvre musicale plus ou moins loufoque. Même les spectateurs les plus constipés sentent immanquablement se relâcher leur sphincter crispé dès que paraît en scène le vibrionnant acteur-chanteur, capable par son dynamisme sans relâche de faire tout passer, jusque dans le comique le plus potache. Et c’est une fois de plus le cas avec le diptyque Hervé-Offenbach proposé depuis quelques mois par le Palazzetto Bru Zane, et de passage à Venise à l’occasion du carnaval.
Une fois dûment saluée la performance de Flannan Obé, il convient de réserver leur part d’éloges à tous les autres responsables de ce spectacle. D’abord, à Raphaël Brémard, qui parvient – et le mérite n’est pas mince – à exister face à la susdite bête de scène, à exister vocalement, bien sûr, mais aussi théâtralement. Le duo que forment les deux artistes semble déjà parfaitement rôdé, surtout dans la relation de clown blanc et d’auguste qui s’instaure dans Le Compositeur toqué (à moins qu’ils ne soient Vladimir et Estragon), et la clownerie paraît être ici la chose du monde la mieux partagée.
© Lola Kirchner
De fait, ce sont bien des clowns qu’a choisi de nous montrer Lola Kirchner : les deux œuvres en un acte ici réunies relevant de l’absurdité la plus totale, dans leur texte, sinon dans leur situation (chez Offenbach, deux faux aveugles se querellent avant d’unir leurs forces pour attirer les aumônes ; chez Hervé, un compositeur fou s’appuie sur l’aide de son valet pour créer sa nouvelle symphonie), le choix se justifie fort bien. Inutile de chercher le moindre réalisme dans ces semblants d’intrigue, simples prétexte à la bouffonnerie. Les deux œuvres, exactement contemporaines, sont truffées de calembours exquisément vaseux et de lazzis tout aussi délectables. Réduit à l’essentiel, pour mieux être accueilli dans des salles que rien ne destine aux spectacles, le décor évolue pour dévoiler le piano, et surtout le pianiste, Christophe Manien qui, non content de ses activités de chef de chant et d’instrumentiste, intervient cette fois, également grimé, pour donner parfois la réplique aux deux chanteurs. Pas d’ouverture pour les Deux aveugles (on nous dit que la partition imprimée n’en comporte aucune), mais Le Compositeur toqué lui donne bien des occasions de briller dans la parodie de « musique de l’avenir », ledit compositeur étant l’auteur d’une symphonie descriptive intitulée « La prise de Gigomar par les intrus ».
Pari gagné, donc, pour le Palazzetto Bru Zane, qui montre que l’on peut donner ce genre d’oeuvres sans se plier à une prétendument nécessaire actualisation du texte, et sans qu’Hervé fasse figure de petit maître dans l’ombre de l’illustre Offenbach : l’avantage irait même plutôt du côté du Compositeur toqué, ainsi qu’il se surnommait lui-même. Joint au Mam’zelle Nitouche qui tourne en ce moment, sous l’égide du même Centre de musique romantique française, Hervé a trouvé de solides défenseurs. De quoi éveiller aussi l’appétit pour le bicentenaire Offenbach, l’année prochaine…