Certes, on rit de bon cœur : King Arthur n’a pas pris une ride. Hervé Niquet, qui s’amuse avec cette partition depuis le début des années 90, a trouvé en Shirley et Dino des interlocuteurs partageant totalement sa vision des choses, et même au-delà. Gilles Benizio a un entrain communicatif et un solide métier dans son rôle de Monsieur Gilbert, le chef machiniste, et Corinne Benizio est irrésistible dans sa courte apparition de skieuse hébétée par le spectacle incongru qui s’offre à sa vue. Les gags sont innombrables et souvent fort drôles, ils ont été ici même longuement décrits dans les deux précédents comptes rendus de ce même spectacle (par Christian Peter en 2009 et par Laurent Bury début 2013). La filiation avec les Branquignols est une évidence (les deux moines) et avec les Deschiens aussi. Alors pourquoi n’arrive-ton pas à adhérer totalement à ce délire collectif pourtant aussi sympathique qu’efficace ?
C’est que, quand les Deschiens s’attaquent aux Brigands d’Offenbach ou à L’Enlèvement au sérail, ils sont au service de l’œuvre : à de toutes petites exceptions prêt, le moindre jeu de scène, la moindre attitude (Yolande Moreau en serveuse d’auberge puis en convive éméchée dans Les Brigands) servent la partition. Ici, c’est le contraire, on a l’impression que ce sont les metteurs en scène, et par voie de conséquence les interprètes, qui se servent de la partition pour mettre en valeur des situations loufoques.
Le résultat essentiel est qu’à force de voir l’action (devenue tout à fait secondaire) tellement hachée par trop d’arrêts très drôles mais hors sujet, le spectateur finit par relâcher son attention. On le voit ce soir où devant le plateau déchaîné, le public ne sait plus très bien s’il est à l’opéra, au concert ou au « plus grand cabaret du monde » de Patrick Sébastien. Et que devient la musique de Purcell dans tout cela ? Car les spectateurs, commentant les gags passés et en attendant de nouveaux, parlent beaucoup et n’écoutent plus qu’à peine.
Fort heureusement, les interprètes sont dignes de tous les éloges, et si parfois leurs interventions se trouvent un peu noyées dans la folie ambiante, ils prennent visiblement un tel plaisir à participer à ce délire collectif qu’on ne peut que les suivre, même si parfois on perd le fil de la musique. Tout d’abord, bien sûr, Hervé Niquet, qui joue, court, chante, change de costume comme Fregoli, mais tient bon le cap : sans sa présence tout aussi précise, musicale qu’humoristique, on ne sait trop ce qu’il adviendrait du spectacle ! Les musiciens du Concert Spirituel conservent de leur côté, par delà les ans, toutes leurs qualités, même ceux d’entre eux qui doivent jouer du pipeau avec de gros gants de laine. Les excellents chanteurs sont pour la plupart les mêmes depuis la création de ce spectacle : saluons donc les nouveaux venus, Chantal Habellion, et les deux moines scéniquement désopilants et vocalement très assurés, Emiliano Gonzalez-Toro et Marc Labonnette.