A chaque pays ses traditions. Si en Allemagne et en Autriche Die Fledermaus occupe la Saint-Sylvestre de bien des théâtres, nos amis transalpins fréquentent moins le chef d’œuvre de Johann Strauss. A Florence, son entrée au répertoire date de 2015 et il faut surement voir la patte d’Alexander Pereira derrière cette nouvelle coproduction avec le Staatstheater am Gärtnerplatz de Munich. Si certaines idées de la mise en scène de Joseph Ernst Köpplinger nous laissent songeur – la transposition dans les années 1920, dans une station de ski autrichienne ne semble qu’un prétexte au générique animé pendant l’ouverture et au décor tarabiscoté du chalet tout en diagonales plutôt qu’en angles droits – on louera l’inventivité et l’humour subtil des deuxième et troisième actes. Les décors sont somptueux : entrée du palais Orlofsky agrémentée de haies et d’une reproduction en glace de la statue en or de Johann Strauss du Stadtpark de Vienne, prison de bric-à-brac où l’on retrouve les lignes diagonales justifiées par le poids de la paperasse sous lequel croulent les armoires. Frosch et Frank sont désopilants. Surtout le metteur en scène autrichien joue la carte de la connivence nationale et maintient un fil rouge humoristique tout au long du spectacle grâce au ténor. Alfred chante aux fenêtres de Rosalinde (ou depuis sa cellule de prison), voilà un trait bien latin qu’Alex Tsilogiannis va reproduire sans cesse au premier et dernier acte en commentant l’action avec des tubes du répertoire italien : Rosalinde et lui s’échangent (en musique) des répliques de la Traviata (« amami Alfredo » très à propos). Quand il fait irruption dans la maison, « che gelida manina » accompagne leurs palabres de séduction. Au troisième acte, « nessun dorma » ouvre cet acte situé au petit matin du lendemain de la Saint-Sylvestre. Frosch parie que le ténor sera incapable de rester silencieux et l’emporte sur un « vincero » tonitruant repris à l’orchestre. Enfin quand le gardien se croit emmuré dans sa propre prison, Alex Tsilogiannis entame « Celeste Aida ». On se gondole sur son fauteuil et tout le reste est à l’avenant, entre élégance, finesse et maestria. On se demande quelles citations du répertoire germanique pourront être dévolues au ténor à Vienne quand la production s’y établira, même si ces drôleries italiennes, auxquelles il faut ajouter encore des extraits de Rigoletto, peuvent trouver leur place partout.
© Michele Monasta
A l’image de la production, Zubin Mehta dirige l’orchestre du Maggio musicale fiorentino avec délicatesse et une précision d’orfèvre… d’où se détache un ballet tonitruant. Les équilibres sont dosés avec soin, le plateau installé confortablement sous la battue et la balance du chef. On regrettera un grain de folie, des tempi plus allants, peut-être dû à la distribution.
Se détache de celle-ci le ténor grec Alex Tsilogiannis, aussi présent dans les ensembles qu’à propos dans tous les courts emplois qu’on lui demande de revêtir (le « Vincero » backstage décoiffe). Marina Viotti endosse sans effort le froc du Prince Orlofsky. Son timbre granuleux épouse les affects de l’aristocrate désabusé. Valentina Stadler (Ida) et Daniel Prohaska (Doktor Blind) assurent leur partie sans démériter ; Robert Meyer (Frosch) et Francesco Grifoni (valet du Prince) accompagnent les chanteurs d’un jeu à la verve comique adéquate. Liviu Holender convainc lui tout à fait en Doktor Falke facétieux. De même pour Reinhard Mayr dont le Frank bénéficie d’une émission franche et d’un surcroit de volume. C’est finalement le trio principal qui nous laisse sur notre soif. Regula Mülhemann dispose d’un très beau registre suraigu mais on a connu des Adele plus folles, plus audacieuses dans les roucoulades et plus précises dans la vocalisation. Markus Werba possède à l’évidence tous les ressors pour incarner Gabriel. Il lui manque un rien de projection et de beaucoup de volume pour l’imposer. Enfin, Olga Bezsmertna capitalise sur une voix charnue qui hélas plafonne. Ses aigus sont systématiquement trop bas et la czardas la met en difficulté. Heureusement l’esprit de troupe et le plaisir évident que tous prennent à participer à cette production réussie contrebalance ces quelques insuffisances.