Avant dernier opéra composé par Richard Strauss (deux ans avant Capriccio) mais créé seulement après le décès du compositeur, la production initiale de 1944 ayant été finalement annulée par décision de Goebels, Die Liebe der Danae est une dissertation sur les limites du pouvoir de l’or face à l’amour véritable. En filigrane, Hofmansthal distille quelques vérités utiles à caractère universel, relatives à l’insondable du cœur des femmes et des amours en général, au poids du matériel face aux sentiments humains, sans jamais se départir de sa délicieuse légèreté viennoise.
Partition très dense et particulièrement chatoyante, orchestration très fournie, grandes envolées lyriques, cette fable mythologique est une œuvre qui, sans être d’un accès facile, ne manque pourtant pas d’atouts et si elle n’est pas plus souvent au répertoire, c’est sans doute qu’elle exige une distribution de très haut niveau, mais aussi très nombreuse, et donc forcément très couteuse.
Mais à Salzbourg on ne compte pas, et c’est donc un très grand spectacle auquel il nous a été donné d’assister tant sur le plan visuel que musical.
Le livret est censé se passer dans la Grèce antique, qui reçoit régulièrement les visites de Jupiter en manque de conquêtes. Alvis Hermanis pousse un peu plus à l’Est, et transporte l’action aux portes de Samarcande ou dans un monde de rêves, un véritable conte des mille et unes nuits avec un chatoiement de costumes et de décor inouï par lesquels il crée un visuel d’une beauté stupéfiante. Pantalons bouffant, coiffes enturbannées, tuniques chamarrées et abondance de tapis – sans craindre l’excès – donnent l’impression d’un luxe sans limites, avec pour points culminants les vêtements d’or apportés par Midas et le ballet non moins doré, façon girls du Lido, qui accompagne la scène du rêve de Danaé. Le spectaculaire est à son comble lorsque Jupiter fait son entrée richement paré sur le dos d’un éléphant blanc !
Tomasz Konieczny (Jupiter) © Salzburger Festspiele/Michael Pöhn
Tout cela est parfaitement en adéquation avec les scintillements d’une partition très riche elle aussi, créant un spectacle complet particulièrement cohérent. Musicalement, l’œuvre connaît un tournant spectaculaire (et une concentration de sens) lorsque Danaé dans son magnifique air « Lebe wohl, mein Traum » renonce à tout l’or du monde pour se consacrer à son amour pour Midas.
A la fin de la pièce, le metteur en scène opposera à ce luxe de couleurs la blancheur presque monacale de l’univers des amants lorsqu’ils auront choisi la pauvreté pour pouvoir vivre leur amour. Un petit âne, blanc lui aussi, aura remplacé l’éléphant, créant une émotion intense par sa simplicité et sa poésie. Entourée de ses compagnes en niqab blanc, Danaé tisse humblement. L’orchestration se fera plus sage, elle aussi, pour une très longue dernière scène, planante comme Strauss en a le secret (rien à envier à la scène finale de Capriccio), d’une beauté musicale à couper le souffle, trente minutes d’intense bonheur, dont on voudrait qu’il ne s’arrête jamais.
Car une grande partie de la réussite de ce spectacle, on la doit à l’orchestre du Wiener Philhamoniker qui déploie la partition avec une précision, un luxe de détails exemplaires, un sens aigu du lyrisme straussien doublé d’une chaude sensualité. Franz Welser-Möst maître de la fosse, olympien, conduit le tout à la perfection, sans jamais perdre son sang-froid. Ni l’ampleur de l’orchestre ni le nombre des chanteurs et l’importante masse des choristes à diriger sur scène ne semblent l’impressionner, et sa vision particulièrement claire de l’œuvre, pourtant fort touffue, s’impose très naturellement d’un bout à l’autre.
La distribution vocale est dominée par la Danaé de Krassimira Stoyanova, voix large et bien timbrée, à laquelle on pourrait juste souhaiter encore plus de moelleux dans l’aigu pour encore mieux épouser les suaves courbes straussiennes. Tomasz Konieczny fait un Jupiter d’une noble prestance avec un très beau timbre de baryton, mais la performance vocale connaît par moments quelques faiblesses, un manque de projection, qui le conduisent à se laisser couvrir par l’orchestre – dont la partition, il faut bien le reconnaître, est particulièrement chargée. Il en va de même pour Gerhard Siegel, émouvant Midas, mais touchant à plusieurs reprises aux limites de son instrument. Ces trois grands rôles sur qui repose toute la partie musicale du spectacle sont entourés d’une multitude de personnages secondaires généralement très bien tenus, mais eux aussi un peu écrasés par la masse de l’orchestre. On mentionnera le ténor Norbert Ernst (Merkur) qui réussit à donner beaucoup de caractère à ses brèves apparitions, la mezzo-soprano Regine Hangler, émouvante dans le rôle de la nourrice Xanthe, Wolfgang Ablinger-Sperrhacke qui se démène comme un beau diable pour s’imposer (sans y réussir pleinement) dans le rôle du roi Pollux, et parmi les quatre reines, la très belle performance de Jennifer Johnston en Leda.