Pour sa rentrée, l’Opéra de Paris commence par un pari : remplir à quinze reprises toute la Bastille avec la production signée Jorge Lavelli (1997) de La Veuve Joyeuse, in deutscher Sprache mit französischen und englischen Übertiteln, comme le regrettait encore Christophe Rizoud en 2012 lors de la précédente reprise… à Garnier. Laissons là pour cette fois les querelles de lieu et de langages. Le pari pourrait bien réussir.
Car passé un premier acte de mise en jambe où orchestre et solistes claudiquent encore un peu leurs valses, l’alchimie finit par se produire. Tout d’abord entre les deux couples, idéalement assortis et charismatiques. Véronique Gens et Thomas Hampson se donnent des leçons de glamour et de chic d’autant plus jubilatoires dans ce livret diplomatico-vaudevillesque. Si la Française n’a pas tout à fait le volume requis pour cette salle, la prosodie est exemplaire et le timbre ne manque pas de séduction. Le baryton concède quelques aigus et un timbre blanchi, mais autrement, il est Danilo des souliers vernis aux cheveux laqués, des phrases susurrées aux accents colériques. Stephen Costello, qui fait ses débuts parisiens, possède un aigu percutant et un stylé châtié, émaillés seulement par de sons parfois nasaux. Valentina Narfonita au contraire déploie une voix opulente, fruitée et compose une Valencienne mi-femme mi-adolescente délicieuse. La myriade de petits rôles est bien distribuée (Alexandre Duhamel en Cascada, excusez du peu). Si en 2012 Franz Mazura revêtait la livrée de Njegus, cette année c’est avec émotion que l’on y retrouve Siegfried Jerusalem. Enfin on s’étonnera de la sonorisation puissante des dialogues parlés qui débordent à plusieurs reprises sur la partie vocale. Cela n’aidera pas nos grisettes qui font décidément pale figure.
La production de Jorge Lavelli (très applaudi aux saluts) commence à accuser quelque peu son âge. Rien à redire sur le parti-pris de l’époque et l’on se régale toujours aussi volontiers de voir les danseurs et le chœur faire leurs acrobaties. En revanche le décor de verres et de métal, ces éclairages blafards plongent l’action dans une ambiance peu chaleureuse. Sorti des costumes, l’on est désormais loin du Paris des Années folles et l’on pense bien davantage à un hall démesuré de gratte-ciel new-yorkais.
En fosse, il faut le temps d’un acte à Jakub Hrusa pour emporter la phalange de l’Opéra de Paris. Le travail sur les couleurs porte ses fruits quand le flair du Tchèque conduit les danses de la frénésie à la langueur, sans jamais porter atteinte à l’intégrité du plateau vocal. C’est dans le deuxième acte, évocateur de l’Europe centrale, que le chef est le plus à son aise. Un dynamisme que l’on retrouve dans le final où la salle tape irrésistiblement en rythme dans les mains.