À Erl, dans la salle Passionsspielhaus, la question de la véracité et de la minutie des décors ne se pose pas. Gustav Kuhn et Jaafar Chalabi ont simplement défini un vaste plateau central en pente, deux plateaux latéraux, des sièges et des tables en Z qui s’empilent ou se déploient pour définir l’espace. C’est clair et net, on est plus près de Jean Villar que du Met de New York. La question d’une relative actualisation de l’esthétique (et donc du propos) passe par les amusants costumes de Lenka Radecky, qui mêlent au cours de l’action (et bien en situation) complets-vestons et costumes historiques. On n’en reste pas moins dans la grande tradition, et le tout est vif, alerte, on pense beaucoup aux Joyeuses Commères de Windsor de Nicolaï, et l’on passe un très agréable moment sans que jamais la longueur du propos ne pèse, notamment grâce aux très courts entractes.
James Roser et Michael Kupfer-Radecky © Tiroler Festspiele Erl / APA-Fotoservice / Xiomara Bender
Sur le plateau, pas de vedette internationale, mais comme toujours à Erl, des chanteurs qui connaissent bien leur métier et le style imprimé par le chef, ce qui donne à l’ensemble une unité parfaite. Et pourtant, des personnalités se distinguent de prime abord par l’originalité ou la perfection de leur interprétation. Michael Kupfer-Radecky (bien connu pour ses Kurwenal, Klingsor et Wolfram) est un Hans Sachs de haut vol, royal d’humanité et d’autorité, mais aussi d’humour ; la voix est toujours aussi belle, et le style parfait. Le Beckmesser de James Roser est tout aussi intéressant avec les excès – contrôlés – d’un rôle de composition, dont la drôlerie pitoyable n’est jamais excessive ni vulgaire, servi également par une fort belle voix. Enfin, le David de Lurie Ciobanu et la Magdalene d’Anna Lucia Nardi sont tout à fait réjouissants, affichant sans complexe et avec efficacité le côté débridé de leurs personnages. En revanche, on peut regretter que l’Eva de Joo-Anne Bitter ait une voix un peu dure, ce qui n’a finalement que peu d’incidence sur son interprétation. C’est le Walther de Wolfgang Schwaninger qui pose d’autres questions, d’une part, vocalement, avec une voix un peu raide et assez peu mélodieuse typique du chant des années 60, alors qu’il est censé apporter la nouveauté, et d’autre part en donnant l’impression d’être plus le père que l’amoureux d’Eva (alors que le Veit Pogner de Giovanni Battista Parodi semble être son frère !). Son interprétation, un peu hors du temps, évoque bien un voyageur venu se perdre dans un univers qui n’est pas le sien, et auquel il a bien du mal à se soumettre, sans que l’on perçoive clairement la nouveauté dont il est porteur.
De petits détails moins réussis peuvent être relevés, qui ne retirent guère à la qualité de l’ensemble : une bagarre dans la pénombre qui est bien mollement réglée, alors qu’elle eu dû être épique ! Et un ballet des apprentis bien mou aussi, constituant l’un des courts rares moments d’ennui de la représentation. Mais soixante quinze personnes en scène, parmi lesquels des choristes de grande compétence, ne font pas oublier la qualité de l’orchestre, qui brille aujourd’hui de mille feux, même si parfois la battue de Gustav Kuhn se fait un peu moins vive (fatigue des Tristan et Ring en alternance ?)