D’origine coréenne, Kwangchul Youn a étudié le chant à l’Université de Chungju avant de remporter le premier prix du Concours national de Chant de Corée. De Séoul où il débute en 1988 en Giordano dans Fedora, il rejoint l’Europe parfaire sa formation et emporte plusieurs compétitions prestigieuses, dont la première édition d’Operalia, à Paris en 1993. Membre permanent du Staatsoper de Berlin de 1994 à 2004, il forge son répertoire : Sarastro (Die Zauberflöte), Philippe II (Don Carlos), Banquo (Macbeth), Marke (Tristan und Isolde), Fasolt (Das Rheingold), Hunding (Die Walküre)… Invité depuis sur les plus grandes scènes du monde entier, il prend pension chaque année ou presque à Bayreuth au point de considérer la colline sacrée comme sa deuxième maison.
Ce portrait sommairement brossé, on peut s’interroger sur la présence d’une basse d’obédience wagnérienne dans Winterreise. Le cycle de mélodies composé par Franz Schubert à la fin de sa vie est aujourd’hui chasse gardée des ténors et des barytons, Jonas Kaufmann et Matthias Goerne tenant lieu de d’incontournable référence, chacun dans leur tessiture. Dans la catégorie masculine, il arrive à des voix plus graves de s’emparer de la partition – Hans Hotter, José van Dam ou Thomas Quasthoff sont interprètes historiques – mais à leur qualité de basse, elles adjoignent le plus souvent celle de baryton comme gage sinon de clarté du moins d’une certaine liberté dans l’aigu. La proposition de Kwangchul Youn est autre. Son entrée dans l’œuvre se fait d’un pas lourd. Le timbre sombre suggère inévitablement la maturité. Le voyageur semble moins las que plombé par le poids d’années portées comme un fardeau. Pourtant, ce n’est pas un vieillard hagard et fatigué qui va déambuler vingt-quatre mélodies durant. Dès le deuxième numéro, « Die Wetterfahne » avec au piano des trépignements inhabituels chez Schubert, la silhouette se redresse, autoritaire et courroucée. La voix tonne. Derrière l’éclat et les grondements, transparait coléreux plus qu’un homme, un dieu. Wotan, sors de ce corps !
Au fil de sa progression, le chant se prend alors à hésiter entre révolte et accablement, entre imprécations lancées à pleins poumons et lamentations livides à force d’allègements, comme si craignant de lasser l’auditeur, Kwangchul Youn cherchait à renouveler constamment le propos. Toutes les couleurs, tous les effets sont convoqués pour écarter toute tentation de monotonie. Si l’expression peut paraitre exagérée dans une œuvre qui, touchant au plus profond de l’âme, n’a que peu à faire de démonstrations, l’attitude du chanteur, introvertie, les yeux fermés, les bras figés, traduit l’extrême concentration. Schizophrénie ? Selon les mélodies, le résultat est inégal, tantôt saisissant – « Die Krähe » à la tristesse résignée –, tantôt décevant – « Frühlingstraum » aux contrastes trop soulignés – jusqu à un « Der Leiermann » hypnotique, qui laisserait abasourdi, peut-être conquis, si des applaudissements précoces, avant même que la musique se taise, ne venait rompre le charme.
Au piano, Burkhard Kehring, qui fut l’accompagnateur du dernier enregistrement de Dietrich Fischer-Dieskau, s’emploie tout au long du cycle à montrer la bonne direction. Malheureusement, son jeu, d’une intelligence révèlant une connaissance intime de l’œuvre, ne réussit que sporadiquement à remettre notre voyageur, trop souvent égaré, dans le droit chemin.