« Ce soir nous jouons. Et pourtant, la culture, nos métiers, le Festival d’Aix-en-Provence sont en danger ». Un feuillet glissé dans le programme donne le ton. Un discours lu par une technicienne, longuement applaudi par le public, enfonce le clou. Cette Flûte enchantée proposée par Simon McBurney apparaît comme un appel à la raison, un message d’amour et de paix que seules les quelques saillies misogynes du livret viennent contredire. Comme un fait exprès, la virtuosité de la mise en scène rappelle, tout au long de la soirée, l’importance de ces femmes et hommes qui, dans l’ombre officient pour que le spectacle ait lieu.
Vous jouez donc et ce que vous nous donnez à voir est un enchantement. Les costumes sont pourtant laids et le décor absent. Un simple plateau nu et articulé pour pouvoir s’adapter aux différentes situations, tantôt refuge, tantôt table ou pente escarpée, des rideaux utilisés comme écran, sont pages blanches sur lesquelles se posent, tableau après tableau, tels les oiseaux de Papageno, des images sans cesse renouvelées. Rien d’inédit pour autant. Il semble que Simon McBurney et son équipe aient voulu compiler l’ensemble des procédés en vogue aujourd’hui sur les scènes d’opéra. Passent comme autant de références le tableau noir d’Alceste à l’Opéra de Paris, les projections vidéo dont moult abusent aujourd’hui, l’utilisation des corps qui servait de paradigme au Ring munichois d’Andreas Kriegenburg, etc. À l’inverse de bon nombre de ses confrères qui s’emploient à réécrire l’histoire, Simon McBurney ne veut pas interpréter mais représenter. Son propos ne s’écarte jamais du livret. Aucun principe ne vient en infléchir le sens mais de multiples idées l’habillent. Le pardon final accordé par Sarastro à la Reine de la nuit s’avère la seule entorse au texte et serait-on tenté de dire, dans cette vision poétique et conformiste, la seule faute de goût.
© Pascal Victor / artcomart
Vous aussi, musiciens et chanteurs, jouez et ce que vous nous donnez à entendre désaltère. La direction de Pablo Heras-Casado, à la tête du Freiburger Barockorchester, est source de nombreuses joies. Dès la première mesures, la musique jaillit, non torrentueuse, mais fraîche et vive sans aucune de ces aigreurs dispensées souvent par les ensembles baroques. Mozart ici n’est ni sentencieux, ni doctoral, pas même dogmatique mais d’une jeunesse retrouvée, moderne pourrait-on résumer si l’adjectif, suremployé, n’avait tendance aujourd’hui à prendre un sens opposé. Le chœur fait montre du même enthousiasme sonore et les voix, bien que désavantagées par un dispositif scénique peu favorable à leur projection, se situent au diapason. Non pas grandes, c’est-à-dire d’un de ces formats qui ont fait les riches heures de la discographie avant la révolution baroque, mais jeunes, saines, décomplexées. Toutes ne sont pas égales. En Papagena, Regula Mühlemann fait de la figuration. L’orateur de Maarten Koningsberger avance d’un pas mal assuré. Andreas Conrad est un Monostatos sans grande envergure et l’on pourrait souhaiter trois dames moins désunies qu’Ana-Maria Labin, Silvia de La Muela et Claudia Huckle. Mais Christof Fischesser possède l’autorité abyssale de Sarastro. Olga Pudova vient à bout, non parfois sans mal, des deux airs de la Reine de la Nuit. Papageno altier, douée de présence vocale, Thomas Oliemans a la bonne humeur communicative. Surtout les deux premiers rôles, Stanislas de Barbeyrac et Mari Eriksmoen apparaissent, dans pareil contexte, proches de l’idéal. Lui, Tamino élégant sans affectation, viril sans brutalité, égal sur toute la ligne, triomphe de toutes les épreuves, confirmant les espoirs que son chant a déjà suscités. Elle, encore plus émouvante, est une de ces Pamina dont la légèreté n’est pas superficialité mais fragilité utilisée à bon escient. Égal aussi, toujours musical, son soprano délicat porté par le souffle semble aujourd’hui exactement adapté à Mozart. Pas encore Fiordiligi qu’elle a pourtant déjà interprété au Theater an der Wien mais assurément Susanna.
Tous finalement, vous avez joué et vos revendications, clairement exposées ont été écoutées. Mieux, si l’on en juge à l’accueil qu’elles ont reçu, elles ont été approuvées, peut-être comprises. Plutôt que de vous mettre à dos le public en le privant d’un spectacle pour lequel il s’est déplacé parfois au prix de sacrifices financiers, vous l’avez conquis. Vous avez joué ; nous vous en remercions.