Robert Carsen serait-il à court d’idée ? Der Rosenkavalier à Londres, Don Carlo à Strasbourg… Ses dernières mises en scène ont laissé une impression de siccité. Déjà, Sonia Hossein-Pour, lors de la reprise de cette Flûte enchantée à l’Opéra national de Paris en 2015 ne masquait pas sa déception : « la partition n’a semble-t-il pas beaucoup inspiré Robert Carsen qui a joué la carte de la sobriété plus que de la magie. ». Quand bien même on aurait voulu démontrer le contraire, trouver un point de divergence afin de ne pas avoir à paraphraser l’avis de notre consœur, comment ne pas abonder dans le même sens ? Vingt ans après sa première lecture du chef d’œuvre de Mozart, en 1994 à Aix-en-Provence, Carsen s’est plongé dans le livret de Schikaneder à la recherche d’une piste qui l’aiderait à renouveler son propos. « J’ai alors été frappé par un aspect qui m’avait étrangement échappé à l’époque : l’obsession de la mort », raconte-t-il, « il n’y a pas moins de soixante occurrences de ce mot dans le texte ». Tout comme l’hirondelle ne fait pas le printemps, une seule idée hélas ne saurait suffire à supporter le poids d’une mise en scène. Une fois Sarastro et sa clique voilés de noir et le gazon creusé de tombes, force est de constater que la machine tourne à vide, privée de sens et même d’images qui à défaut de nourrir l’esprit distrairaient les yeux. Reste la confusion entre le bien et le mal, la Reine de la nuit et Sarastro non pas ennemis mais mari et femme œuvrant en secret à l’initiation de leurs enfants. Déjà vu ? Oui, à Aix-en-Provence en 1994, dans sa première mise en scène de La Flûte enchantée. Retour à la case départ.
© Elisa Haberer / Opéra national de Paris
Heureusement les deux distributions proposées en alternance comportent suffisamment d’atouts pour justifier de prendre (ou reprendre) le chemin de Bastille. De la première, ce 23 janvier, on retient un quintet de solistes exceptionnels : Stanislas de Barbeyrac, découvert dans le rôle à Aix-en-Provence en 2014 dont le Tamino à la blondeur saint-exupérienne n’est que lumière virile, naturel et élégance ; Nadine Sierra qui, dans une symétrie toute mozartienne, assoit d’un timbre fruité et d’un chant délicat Pamina sur le même trône ; René Pape et Michael Volle, deux vétérans dans des personnages qu’ils ont définitivement marqués de leur empreinte, le premier dominant encore orgueilleusement la tessiture abyssale de Sarastro, le second jouant autant que chantant un Papageno SDF auquel seule fait défaut une certaine jeunesse ; Albina Shagimuratova, enfin, la plus surprenante peut-être car non pas légère et cristalline comme l’est souvent la Reine de la nuit mais au contraire fuligineuse, la vocalise (trop) liée et le suraigu imparable, sans que l’on ait pour autant l’impression que les notes les plus hautes proviennent d’une autre voix. Les autres rôles sont moins marquants mais l’on retrouve non sans émotion le timbre reconnaissable entre tous de José van Dam en Sprecher parcheminé et digne.
Directeur du Komische Oper de Berlin depuis 2012, Henrik Nánási a suffisamment dirigé en Allemagne pour connaître sa Zauberflöte sur le bout de la baguette. Ni empesée et poudrée à la manière classique, ni bousculée comme la proposent encore parfois certains baroqueux avides de contrastes volumiques et rythmiques, ni mesurée, voire sacralisée à la manière d’une grand-messe maçonnique, sa direction fluide et vivante lui vaut aux saluts une légitime part d’applaudissements.