Représentée en mars à l’Opéra de Dijon dans une mise en scène de David Lescaut, La Flûte enchantée dirigée par Christophe Rousset à la tête des Talens lyriques est reprise à la Philharmonie de Paris en version de concert avec la même distribution. Le fait qu’elle ait été donnée au théâtre procure davantage de liberté aux interprètes qui, débarrassés de leurs partitions, évoluent sur scène avec une aisance et une spontanéité réjouissantes. Le plateau, constitué de jeunes chanteurs talentueux et enthousiastes, dotés de physiques avenants, est dominé par l’éblouissant Tamino de Julian Prégardien. Le ténor allemand possède une voix bien projetée, un timbre radieux qui séduit d’emblée, un phrasé élégant et un art de la déclamation impeccable. Son prince racé et viril ne manque pas d’atouts et se situe bien au-dessus de ceux que l’on a pu écouter récemment. Sur les mêmes cimes se hisse La Reine de la nuit de Jodie Devos. Loin des rossignols mécaniques que l’on entend parfois dans ce rôle, la jeune soprano offre un portrait complet de son personnage, touchante dans son premier air, animée d’une rage vengeresse dans le second, avec une voix ample qui se joue avec brio des difficultés techniques de la partition et remplit sans peine le vaste espace de la Philharmonie. Siobhan Stagg campe une Pamina délicate et sensible, son « Ach, ich fühl’s » pris dans un tempo retenu, capte l’attention du public qui l’écoute dans un silence recueilli avant de l’applaudir avec enthousiasme. Plus charmeur que froussard, le Papageno de Klemens Sender se démarque par sa bonhommie et son charisme. La voix est solide, le timbre agréable et l’acteur convaincant, en particulier dans les dialogues parlés. Ses mimiques ne manquent pas de déclencher les rires du public. A ses côtés Camille Poul est une exquise Papagena au timbre joliment fruité. L’orateur noble et solennel de Christian Immler en impose davantage que le Sarastro de Dashon Burton qui, malgré un physique altier et un timbre de bronze, se trouve partiellement handicapé par un registre grave confidentiel, notamment au second acte. Il faut dire que le diapason baroque ne lui facilite pas la tâche. Le timbre un rien nasal de Mark Omvlee lui permet de composer avec conviction un personnage à la fois pleutre et déplaisant. Enfin les trois Dames, malicieuses et espiègles, possèdent des voix parfaitement assorties d’où émerge le joli soprano Sophie Junker, tandis que les trois enfants tirent leur épingle du jeu sans trop malmener la justesse.
Christophe Rousset propose une direction chatoyante et théâtrale avec des tempos généralement rapides qui alternent avec des passages extrêmement lents, comme en suspension, où l’émotion affleure, par exemple dans les airs de Tamino et Pamina. On peine à croire qu’il s’agit de sa première Flûte enchantée tant sa conception de l’ouvrage est aboutie. Les Talens lyriques en grande forme, rondeur des cordes, précision de vents, ainsi que les excellents chœurs de l’Opéra de Dijon concourent à la réussite de cette soirée longuement ovationnée par une salle archi-comble.