Quelques mois et quelques centaines de kilomètres plus au nord, voici la production de Don Giovanni créée au festival d’Aix-en-Provence qui prend ses quartiers à Nancy. En juillet dernier, Laurent Bury évoquait ce spectacle de théâtre dans le théâtre, « sivadien » par essence, au plus proche de la musique et de l’esprit mozartien. S’il faut reconnaître volontiers les trouvailles de cette proposition (la femme de chambre de Donna Anna en effet) et l’excellente qualité de sa réalisation (lumières, effets, costumes), force est aussi de s’interroger sur un procédé qui tourne en rond, à vide et ne fait pas sens. Que le théâtre soit le monde qui est le théâtre, soit. Mais cela ne nous apprend rien sur Don Giovanni, son désir incommensurable aux objets multiples et surtout sur son statut : prédateur et/ou victime, libre ou esclave. Les personnages et leurs rapports entre eux n’y trouvent pas davantage un jour nouveau : ils ne sont que les marionnettes au bout du fil d’un metteur en scène parfois invisible parfois incarné par Don Giovanni lui-même. L’exercice de style se répète, avec lassitude, de scène en scène. L’effet matriochka de la mise en abyme a aussi ce désavantage qu’il exacerbe un jeu d’acteur devenu fort peu naturel. Si les mimiques de Leporello sont bien souvent désopilantes, on regrette que les personnages passent le plus clair de leur temps à se contraindre ou à se jeter au sol.
En fosse, l’exercice de style est tout autre. Rani Calderon choisit une pulsation assez vive et se fait très exigeant avec les pupitres à qui échoit le contrepoint. Ainsi, le violoncelle solo se voit mis en avant (remarquable Pierre Fourcade) pendant tout le premier air de Zerlina (en général on l’entend seulement pendant ses derniers arpèges dans la coda), dans un fécond dialogue avec la soprano soubrette. Las, la petite harmonie s’en trouve elle aussi très sollicitée et ce n’est pas l’atout maitre de l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, dont les cordes précises, tout aussi mordantes que soyeuses, font merveille dans les différentes atmosphères de la partition.
Nahuel di Pierro, truculent Leporello que seul un aigu un rien tendu gêne ça et là, et David Leigh, Commandeur puissant et autoritaire, sont les seuls rescapés de la distribution aixoise. L’italien André Schuen endosse le rôle du séducteur avec un charisme certain et une voix chaleureuse et profonde. Il se défait sans mal d’un « Fin ch’han dal vino » pris sur un tempo échevelé mais la palette de nuances en reste encore à une première belle ébauche que le temps saura bonifier. Levente Pall, Masetto sans défaut ni éclat particulier et Julien Behr complètent la distribution masculine. Ce dernier propose un mâle Don Ottovio à la ligne et au souffle soignés. Toutefois le chant, aux attaques trop hésitantes dans « Dalla sua pace », est encore avare de piano ou de demi-teintes.
Chez les femmes, Yolanda Auyanet possède le métal tranchant d’une Elvira autant furie qu’amoureuse, n’étaient quelques vocalises chahutées dans « mi tradi ». Francesca Aspromonte affiche l’espièglerie et la voix sucrée d’une belle Zerline. Premier prix du concours Magda Olivero et ancien pensionnaire du Jette Parker (programme du Royal Opera House), Kiandra Howarth se taille la part du lion en Donna Anna. La voix volumineuse s’épanche dans un élégant phrasé soutenu par une technique solide et les écueils de « non mi dir » sont négociés sans que la musicalité n’en pâtisse.