A l’occasion de la rediffusion en streaming de Don Giovanni au Théâtre des Champs-Elysées (visible jusqu’à ce soir — 25 avril), nous vous proposons de relire ci-après le compte rendu de la représentation du 25 avril 2013.
Pour son troisième opéra de Mozart en version scénique au Théâtre des Champs-Élysées, Jérémie Rhorer retrouve l’équipe qui avait réalisé ici-même la production de son Idoménée en juin 2011. Si à l’époque, la scénographie de Stéphane Braunschweig n’avait que très modérément convaincu Clément Tallia (voir recension), cette fois le metteur en scène français signe une production tout à fait remarquable, ce qui n’était pas gagné d’avance, vu le nombre impressionnant de lectures variées dont l’œuvre de Mozart a déjà fait l’objet. Du dramma giocoso de Da Ponte, Braunschweig ne retient que l’option dramma dans une approche à la fois sobre et résolument moderne, tout en restant fidèle au mythe du Dissoluto punito. Le rideau se lève sur une grande pièce aux murs sombres qui évoque un crématorium : côté cour, un brancard sur lequel gît un corps inanimé fait face à une ouverture d’où émerge une lueur rougeâtre. Au centre, se tient Leporello qui, tout au long de l’ouvrage, sera le témoin du drame. De fait, l’action se déroule entièrement dans un appartement dont les murs noirs sont ornés de fenêtres blanches qui semblent s’ouvrir sur le néant. Le plateau tournant et les parois coulissantes permettent de passer d’une pièce à l’autre. Dans la chambre à coucher, trône un lit blanc surmonté d’un miroir, sur lequel Don Giovanni tente d’abuser d’Anna avant d’y entraîner Zerline à la fin de leur duo. Entretemps on aura vu Elvire s’y vautrer durant son air d’entrée et Leporello égrener sur les draps la liste des conquêtes de son maître. A la fin de l’opéra, tous les personnages entourent le valet étendu sur le lit, tandis que le spectre de Don Giovanni apparaît derrière le miroir. Dans ce huis-clos étouffant et mortifère, Braunschweig a conçu une direction d’acteurs extrêmement fluide qui fourmille d’idées intéressantes, comme par exemple l’irruption au premier acte de Zerline, Masetto et des paysans tous vêtus en couples de jeunes mariés. Les autres costumes se déclinent dans des tons allant du gris clair au noir, à l’exception de la veste blanche de Don Giovanni qui, à partir de l’air du Champagne arborera la tenue classique du libertin du XVIIIe siècle, d’un blanc immaculé. Pas de couleurs donc, dans cet univers sépulcral, hormis les robes aux teintes rougeâtres des invitées de la fête qui clôt le premier acte. Une lecture captivante, on l’a dit, qui n’a cependant pas fait l’unanimité, quelques huées ayant accueilli le metteur en scène au salut final.
C’est une équipe de jeunes chanteurs très impliqués scéniquement qui a été réunie pour la circonstance. Dotée d’un timbre chaud et fruité, Serena Malfi est une Zerline à la fois volontaire et ambiguë, à la sensualité exacerbée. On notera la présence, au deuxième acte, de son duo avec Leporello, rarement donné au théâtre, qui appartient à la version viennoise de l’œuvre. Sophie Marin-Degor possède une voix large et bien projetée qui convainc pleinement dans « Or sai chi l’onore », en revanche, la soprano se montre avare de nuances dans son second air dont la partie lente est desservie par un legato qui laisse à désirer tandis que les vocalises de la partie rapide manquent de précision. Miah Persson incarne une Elvire touchante, davantage femme désespérée que virago hystérique. Si le registre aigu a paru un peu tendu au premier acte, son « Mi tradì » absolument magnifique lui a valu un belle ovation amplement méritée.
Coté Masculin, c’est sans conteste Robert Gleadow qui domine le Plateau. Son Leporello à la fois fataliste et timoré est servi par une technique impeccable et une voix solide, un rien rocailleuse, qui tranche avec la suavité du timbre de Markus Werba. Le baryton autrichien campe avec panache un jouisseur impénitent et cynique qui brûle la chandelle par les deux bouts. Sa sérénade est sensuelle à souhait et son air du Champagne brille de mille feux. Tout au plus peut-on regretter qu’il peine à se faire entendre durant son affrontement final avec le Commandeur de Steven Humes dont la voix ample et sonore couvre sans peine le déferlement orchestral déchaîné par le chef. Daniel Behle compense le manque de volume relatif de sa voix par un chant raffinée et un art du legato qui fait merveille dans ses deux airs. Enfin, Nahuel di Pierro est un Masetto aux moyens prometteurs.
Le maître d’œuvre et grand triomphateur de la soirée est Jérémie Rhorer qui imprime avec une énergie fébrile à son Cercle de l’Harmonie en grande forme, une direction d’une redoutable précision doublée d’un sens aigu du théâtre. Pas un temps mort dans cette course effrénée vers l’abîme mais quelques moments suspendus comme le somptueux trio des masques ou le récitatif du dernier air d’Elvire « In quali eccessi, o numi ». L’avant dernière scène, à partir de l’arrivée du Commandeur jusqu’à la mort de Don Giovanni est l’une des plus spectaculaires qu’il nous ait été donné d’entendre.