Un metteur en scène de talent, d’excellents chanteurs, un chef énergique et une partition inusable, il n’en faut pas plus pour passer une bonne soirée, devant un spectacle divertissant, pétillant, léger, drôle, imaginatif, bref, épatant pour les fêtes !
Au départ d’un dispositif scénique extrêmement simple, un plateau tournant présentant tour à tour l’intérieur et l’extérieur d’une maison, Laurent Pelly conçoit un spectacle très bien rôdé, parfaitement fidèle au livret et à l’esprit de la partition, débordant d’énergie, truculent, sans aucun temps mort. Certes, il utilise des trucs de métier sans doute abondamment vus ailleurs dans de semblables vaudevilles – les portes qui claquent, les valises qui s’ouvrent toutes seules, les personnages qui entrent systématiquement en scène là où on les attend pas – mais qui font mouche à tous les coups. Il y ajoute quelques inventions nouvelles, comme le décor la tête en bas lorsque Norina met littéralement la maison sens dessus dessous, créant un effet comique irrésistible. Chaque moment de l’action est investi, travaillé, réglé au métronome, chaque effet porte, entrainant le public dans l’hilarité générale. Il faut souligner aussi la parfaite adéquation entre le travail de mise en scène et les effets de la partition, celui-ci soulignant ceux-là, avec la grande complicité du chef. Derrière cette grande réussite, il y a, n’en doutons pas, un travail minutieux, une fine analyse de chaque personnage, une grande tendresse pour le pauvre Don Pasquale et à travers lui, pour les ridicules humains. Ceux qui ont suivi le travail de Laurent Pelly ces dernières années (on se souvient des deux Massenet à la Monnaie, Don Quichotte et Cendrillon, ou du Coq d’Or de Rimsky-Korsakov) ne seront pas surpris de cette qualité, même si ce spectacle-ci n’explore guère la veine poétique, qui est une grande force de ce metteur en scène.
Danielle De Niese (Norina), Michele Pertusi (Don Pasquale), Alessandro Abis (Un Notaio) et Lionel Lhote (Malatesta) © Baus
La partition du Don Pasquale n’offre guère de défi majeur à l’orchestre. On soulignera néanmoins le très beau travail réalisé par Alain Altinoglu et l’orchestre de la Monnaie, le soin particulier apporté aux solistes de l’orchestre et ce dès l’ouverture, et l’attention très réactive du chef à tout ce qui se passe sur le plateau pour faire coïncider exactement les intentions scéniques et les intentions musicales. Les tempos sont vifs mais permettent la respiration des chanteurs, vocalement très à leur aise ; l’orchestre rebondit sans cesse et assure la cohérence musicale du spectacle.
L’œuvre comprend cependant des parties vocales très exigeantes, nécessitant une diction italienne volubile et virtuose. Ce sont précisément les qualités de Michele Pertusi qui assume le rôle titre avec brio : se jouant de toutes les difficultés techniques avec une redoutable aisance, il campe un Don Pasquale à la fois ridicule et touchant, en parfaite adéquation avec le personnage. Lionel Lhote qui lui donne la réplique en Dottor Malatesta n’est pas en reste : la voix est ample et très bien timbrée, le chanteur trouve là un emploi qui lui sied parfaitement et qu’il remplit avec verve, humour et une vivacité d’esprit tout à fait dans le ton de la mise en scène. Un peu en retrait, le jeune ténor espagnol Joel Prieto (déjà près de 10 ans de carrière, néanmoins) joue de son physique de latin lover et incarne un Ernesto plein de charme mais né fatigué ; la voix manque un peu de caractère et de brillant dans l’aigu. Mais la vraie vedette du spectacle, celle qui attire vers elle toute l’attention du public, c’est Danielle De Niese (Norina), seule voix féminine de la pièce, dont l’abattage, la technique vocale irréprochable et le jeu très imaginatif – sans parler d’un physique de star – ne peuvent que susciter l’admiration. Poussant le rôle aux limites de la caricature, elle fait preuve d’un véritable talent de comédienne, déploie une énergie considérable et un humour corrosif, insufflant à son personnage énormément de caractère et de présence. Tout petit rôle mais parfaitement tenu, Alessandro Abis campe avec dérision le faux notaire complice de Malatesta. Tout ce petit monde fonctionne en équipe, comme une véritable troupe, avec une belle unité de ton et de style qui contribue elle aussi au succès du spectacle.