Durant l’ouverture, la scène s’ouvre sur une somptueuse villa, avec bar sur piscine, et des domestiques s’affairent. Le doute s’installe : à qui appartiennent ces jambes féminines qui s’exercent à un pédalage sportif, émergeant derrière une longue banquette face à la salle ? Lorsque leur propriétaire apparaît en poursuivant ses exercices physiques, nous reconnaissons Mamm’Agata, ou plutôt Laurent Naouri qui, maintenant, s’est mué en un Don Pasquale tonique, d’une criante vitalité. On se souvient alors de cette « Viva la Mamma ! », découverte à Lyon (*). Il ne sera pas seul à rappeler l’ouvrage : à Genève, lors de sa reprise, il avait déjà pour partenaire la formidable Norina de ce soir, Melody Louledjian. Enfin, la mise en scène s’inscrit dans le droit fil de celle, magistrale, qu’avait réalisée Laurent Pelly. Amelie Niermeyer signe là une production réjouissante, efficace, en parfait accord avec le livret et la musique. L’action est transposée dans notre temps, avec voiture (comme chez Laurent Pelly), sur une tournette, qui confère une unité de lieu, la villa, présentée sous tous ses angles, de l’entrée à la palissade qui masque les poubelles. Les éclairages pertinents de Tobias Löffler serviront les moments contrastés que ménage la partition. Les décors et costumes de Maria-Alice Bahra sont un régal, qui participe à la drôlerie de l’ouvrage, tout en soulignant les caractères et les situations. Ainsi, ira-t-on jusqu’au show de comédie musicale lorsque les déménageurs (le chœur) bouleverseront l’ordre établi par le vieux célibataire. Pour en revenir aux belles jambes, avec celles, parfaitement modelées, de Norina, elles vont servir bien des desseins contraires.
La direction d’acteurs est exemplaire : rien ne superflu, tout fait sens, et comme les chanteurs, particulièrement les deux principaux, sont de parfaits acteurs, cela nous vaut une comédie enlevée, leste, sans vulgarité, menée tambour battant, qui tient le spectateur en haleine, même familier du livret. A signaler les trois domestiques, parfaits dans leur jeu, individuel comme collectif, bien que privés de toute autre expression. Les trouvailles sont nombreuses, et sans doute ne les a-t-on pas toutes remarquées tant l’ouvrage en est riche. Aucune n’est vaine. Pour n’en citer qu’une seule, le magnifique solo de trompette du prélude de l’acte II, qui précède le lamento d’Ernesto, est joué sur scène, dans une relative obscurité, à côté des poubelles, par un musicien qui fait la manche. La plainte ainsi introduite renforce l’émotion du chant.
Il Dottore Malatesta et Don Pasquale, à Dijon © Mirco Magliocca
Les voix sont sûres, familières de ce répertoire, et le plaisir de chacun des chanteurs est manifeste. Laurent Naouri n’a pas à forcer le trait : son Don Pasquale est juste, jamais ridicule, émouvant dans ses prétentions comme dans ses déboires. Sa présence, sans cabotinage, suffit à mettre le public dans sa poche. L’autorité est aussi vocale que dramatique. L’émission, sonore, parfaitement projetée, d’une assurance exemplaire en fait un Don Pasquale d’anthologie.
La voix est large, son chant est charnu, qui marie le raffinement d’une ornementation virtuose, mais toujours discrète, à la séduction lyrique comme aux accents impérieux : Melody Louledjian rayonne dans cet emploi que l’on pourrait croire écrit pour elle. Sa mue, vocale et dramatique, de la pudique Sofronia à une Norina bouillante, relève de la prouesse. Son abattage, de la séduction à la rouerie, assorti à l’héritage rossinien du bel canto, n’est pas moins admirable. Dès sa cavatine d’entrée « Quel gardoi il cavaliere », nous savons quel plaisir elle nous donnera.
Il dottore Malatesta exige du mordant, de la chaleur, de la volubilité. André Morsch y répond avec brio. La ligne est soutenue et le jeu s’accorde fort bien à celui de ses comparses. Son duo « Cheti, cheti, immantinente » avec Don Pasquale est particulièrement réussi. Ernesto, moins caractérisé par le livret, juvénile, naïf, est chanté par Nico Darmanin. La voix de ce Pierrot attendrissant est claire aux aigus aisés. Le « Povero Ernesto » est juste, empreint de sincérité. Sa sérénade du III – « Com’è gentil » nous réjouit, accompagnée par deux guitares et un tambourin.
Tous les ensembles sont réussis, qui s’insèrent avec le plus grand naturel dans la trame narrative. Le trio du deuxième acte, où Sofronia-Norina est présentée à Don Pasquale, est un régal. Le chœur, sollicité seulement aux deux derniers actes, est clair, équilibré, bien projeté, et son jeu scénique réglé comme une chorégraphie. L’orchestre Dijon Bourgogne trouve sous la direction de Debora Waldman la ductilité indispensable comme les couleurs rossiniennes de cette comédie. Si la précision de tel ou de tel fait parfois défaut, la vigueur et les richesses de la partition sont mises en valeur. Tout juste pouvait-on attendre davantage d’humour des traits instrumentaux qui n’ont d’autre justification.
Le public, conquis, ovationne longuement les interprètes après un spectacle captivant, étourdissant, qui distille l’émotion, avec des bulles de champagne.
(*) autre titre, substitué, de « Le Convenienze ed inconveniene teatrali », farsa en deux actes, de 1827, dont le compositeur avait écrit le livret. Liens : Le sourire, le rire, l’émotion, et Tous les Laurent sont magnifiques !