L’Opéra de Vienne s’y entend pour ressortir ses classiques et parsemer sa saison de blockbusters bien rôdés, qui côtoient immédiatement des productions que nous dirons moins conventionnelles, de celles dont une partie (une partie seulement !) du public raffole. Ainsi, au lendemain d’un Tristan qui a suscité pas mal de controverses, nous est-il proposé de revoir le Don Pasquale créé ici même en 2015 avec à l’époque la direction musicale de Jésus López Cobos, Michele Pertusi dans le rôle-titre, la Norina de Valentina Nafornită et le Ernesto de Juan Diego Flórez. Nous devons cette production à Irina Brook que nous retrouverons dans la mise en scène de Il matrimonio segreto à Milan l’automne prochain.
Irina Brook réussit un sans faute et joue sur du velours en tirant la corde comique jusqu’à l’usure ; par la multiplication des gags certes et quelques trouvailles intéressantes. Ainsi le rideau se lève-t-il dix minutes avant le début de la représentation laissant découvrir une scène de bistrot, dont Pasquale est visiblement le gérant. Ou encore le trompette solo qui introduit l’air « Povero Ernesto » devient le compagnon de bar du malheureux promis. Mais le comique est surtout assuré grâce à la vista des chanteurs-acteurs qui n’ont de cesse de s’approprier le caractère buffa de la pièce. Bon nombre de scènes (quand Norina et Malatesta trament un mauvais coup contre Pasquale, quand la fausse nonne fait la connaissance de son futur « mari », ou encore quand l’appartement de Pasquale est transformé de fond en comble par une armée de domestiques intenables) déclenchent des rires ininterrompus du public, auxquels les chanteurs eux-mêmes ont parfois du mal à résister.
Bien joué vraiment de la part des quatre protagonistes principaux qui ont apporté une légèreté, une vivacité et une jeunesse fort à-propos. Légèreté que malheureusement nous ne retrouvons pas dans la fosse. Un orchestre dirigé par Evelino Pidò qui alourdit considérablement le propos alors qu’il y a sur scène des voix légères qui siéent parfaitement dans ce registre.
© Wiener Staatsoper / Michael Pöhn
Cyrille Dubois fait ses débuts au Staatsoper dans un rôle qui semble déjà taillé sur mesure. Si l’on met de côté l’immensité de la salle viennoise dans laquelle la voix se perd parfois, on retrouve d’emblée tous les ingrédients du parfait Ernesto : timbre léger et franc, articulation idéale, aigus agiles et un plaisir de jouer la comédie qui réchauffe le cœur. Le docteur Malatesta, c’est un Sergey Kaydalov retors et joueur à souhait, qui tient bien toute l’étendue de sa gamme. Mention particulière pour le jeu d’actrice de Ruth Iniesta en Norina, au dynamisme étourdissant. Elle se joue de son air d’entrée « So anch’ io la virtù magica » qui réserve pourtant quelques pièges, et mène sa partition tambour battant. Ambrogio Maestri enfin est un Pasquale aguerri qui prend un plaisir communicatif à faire vibrer un baryton tantôt cantabile, tantôt tonitruant et n’hésite pas à inciter le maestro di musica à bisser le spectaculaire « Aspetta, aspetta, cara sposina ».