M. et Mme Benizio sont heureux de vous annoncer la naissance de leur troisième enfant : après Arthur (né en 2008) et Hélène (2012), le dernier s’appelle Quichotte. L’accouchement a eu lieu à l’Opéra-Théâtre de Metz le mois dernier. C’est un bébé robuste, aux belles couleurs, qui vagit bien fort, mais chez qui l’on peut craindre de retrouver, en plus accentuées, certaines tares congénitales dont souffraient déjà ses aînés.
Pour remonter Don Quichotte chez la duchesse, partition fétiche de son Concert Spirituel, interprétée dès la création de son ensemble, en 1988, puis donnée dans une première version scénique en 1996, Hervé Niquet a naturellement fait appel à ses complices du Roi Arthur. Et puisque l’on rit dans l’œuvre de Boismortier, même si elle n’est sans doute pas aussi « déjantée et loufoque » qu’on voudrait nous le faire croire, il pouvait sembler logique de recourir au duo comique formé par Shirley et Dino. Pourtant, l’idée n’était peut-être pas si bonne que ça. Ce qui avait fait toute la réussite de leur Roi Arthur, c’est que Corinne et Gilles Benizio – pour leur restituer leur véritable identité – avaient soumis une œuvre sérieuse à la dérision la plus totale. Mais dans la mesure où ce Don Quichotte relève lui-même en partie de la parodie, ou du moins cherche à faire sourire, plus de décalage possible entre le sujet et son traitement. Il reste donc quelques excellents gags, qui reprennent un peu les mêmes ficelles que dans leur premier spectacle (nous avons n’avoir pas vu leur Belle Hélène), mais il n’est pas impossible que le tandem commence à avoir épuisé ses cartouches. Dans Le Roi Arthur, le chef montait en scène en kilt et interprétait un extrait de L’Auberge du cheval blanc ? On vous ressert le même procédé, sauf que cette fois il y a trois chansonnettes au lieu d’une, et deux déguisements pour Hervé Niquet pour chacune des fois où il quitte la fosse. Et comme le public semble en redemander, il faut s’attendre à quatre ou cinq chansons et à trois monologues du chef d’orchestre lors de l’éventuel prochain spectacle que mettront en scène les Benizio.
Boismortier n’a cependant pas besoin de toutes ces potacheries un peu lourdes : sa musique est superbe, et l’on regrette que le format opéra-comique ne lui ait pas toujours permis de développer des airs qui ne dépareraient pas dans une œuvre de Rameau. Le Concert Spirituel lui rend admirablement justice, depuis une ouverture touffue où les bassons sont très présents jusqu’à la superbe chaconne finale. Apparaissant comme l’un des protagonistes à part entière, le chœur se plie de bonnes grâces aux facéties qu’exige la mise en scène. Par rapport à la version de 1996, Hervé Niquet précipite souvent les choses, ce qui empêche un peu de goûter les pages « sérieuses » de l’œuvre. Seule exception à cet emballement : l’air final de la Japonaise, ici récupéré par la Duchesse et pris à un rythme bien moins endiablé ; en 1996, la soprano Anne Mopin avait une voix plus frêle mais peut-être aussi plus agile, d’où un numéro de voltige plus frappant. Chantal Santon a pour elle une voix opulente mais capable de virtuosité, aux couleurs variées, dont on ne comprend pas qu’elle n’ait pas encore été distribuée sur scène dans les plus grands rôles ramistes ; l’actrice brille dans les différentes facettes du personnage qui lui échoit, mais sa diction n’est pas toujours aussi nette qu’on pourrait le souhaiter dans certains airs. Elle participe néanmoins au sentiment de passage au technicolor qui caractérise l’ensemble de la distribution. Par rapport aux titulaires d’il y a vingt ans, la plus-value est incontestable. On a dit ailleurs tout le bien qu’on pensait de François-Nicolas Geslot interprète de Rameau : il faudrait ici le redire, même s’il paraît pâtir par moments de la rapidité des tempos choisis par le chef. Marc Labonnette est lui aussi un Sancho bien plus solide que son prédécesseur, avec toute la rondeur voulue. Rescapée de 1996, Marie-Pierre Wattiez retrouve son rôle de paysanne, avec des graves devenus peu audibles, hélas. L’assez petite voix d’Agathe Boudet brille dans l’air de l’Amante auquel Hervé Niquet impose un swing irrésistible, en demandant à la chanteuse de se livrer à une sorte de scat baroque pour la reprise de son couplet. Les rôles graves sont fort bien servis par Virgile Ancely : pour lui aussi, l’heure des personnages plus importants devrait sonner.
Décors astucieux, costumes bariolés, public euphorique : tout porte à croire que, malgré nos réserves, ce spectacle devrait à l’avenir poursuivre triomphalement un parcours dont on suppose qu’il ne fait que commencer.