C’est un spectacle bon enfant. La reprise d’une production montée à Nancy pour les fêtes de fin d’année 2023 que Forum Opéra avait regardée avec des yeux éblouis par l’esprit de Noël.

Don Pasquale est un homme de finances. La façade en aluminium de ses établissements, décorée de sa raison sociale PASQUALE en lettres énormes, abrite un bataillon de jeunes cadres clonés travaillant sur leurs ordinateurs (costumes gris, lunettes et cheveux bien peignés). Derrière cette façade se cache (la tournette le révèle) un intérieur coquet (parquet marqueté, lambris, girandoles à pampilles, vitrines exposant quelques objets de ses collections, mais aussi écran affichant les cours de Wall Street ou d’ailleurs).
Ce barbon fait du body training, sous la férule de son coach sportif-majordome peroxydé, dans le dessein d’épouser une jeune veuve, dont par ailleurs son neveu Ernesto est amoureux. Le roué docteur Malatesta va faire capoter ce projet de mariage.

Le metteur en scène Tim Sheader joue la carte de la farce, ou de la comédie musicale pour enfants petits et grands, plutôt que celle de l’opéra buffa. C’est une option. Norina est une peste, Don Pasquale un ridicule et Malatesta un roué calamistré. Quant à Ernesto, c’est un ado de caricature (trottinette, guitare, bonnet, écouteurs). Quatre silhouettes, dessinées à gros traits. Le public, de bonne composition, s’amuse beaucoup des quiproquos, clins d’yeux, effets téléphonés, etc.
La vie en rose
La deuxième partie s’immerge dans le rose, pour ne pas dire le pink. Un immense sapin de Noël, des guirlandes, un petit train à la Willy Wonka, charriant des monceaux de cadeaux, une armada de Pierrots en rose et deux gigantesques bonhommes de neige (roses) gonflés à l’hélium… Vu par un beau dimanche de printemps, ce décorum pour un Casse-Noisette revu par Tim Burton ajoute un décalage saisonnier à l’anachronisme auquel on n’échappe pas.

Ce parti pris de dessin à grands traits, laissant de côté toute recherche sur les caractères, réduit l’intrigue à une mécanique prévisible et les personnages à des fantoches. Surtout il a ceci de gênant qu’il coïncide plutôt mal que bien avec la finesse de la partition de Donizetti.
Un orchestre à la fête
Par chance, il y a au pupitre un chef, Giuseppe Grazioli, qui, s’il a fait une bonne partie de sa carrière en France (et notamment à Saint-Étienne), respire naturellement l’esprit de la musique italienne, avec la précision incisive qu’il faut à Donizetti, mais aussi la souplesse dont ont besoin les chanteurs.
Une fois passées les quelques premières mesures de l’ouverture, l’Orchestre de Chambre de Lausanne, aura la légèreté de coloris, le piqué, l’à-propos indispensables. Grazioli tient son monde avec fermeté, les accelerandos sont impeccablement en place. Avec une plénitude, une saveur de son réjouissantes, un dosage des pupitres, des phrasés élégants des cordes, un pittoresque des vents, sans parler de la verve et de l’enjouement. Et de la pertinence nerveuse de l’accompagnement des récitatifs. Bref, un bonheur constant de ce côté-là…

S’il est un très bon comédien, avec un sens très sûr du tempo comique, le baryton Dario Solari qui chante Malatesta n’a peut-être pas la ductilité vocale qu’il faudrait. En tout cas pas tout de suite : son premier air, « Bella siccome un angelo », sonne raide et engoncé. Assez vite, sa voix se chauffera et sa vis comica aidant, il trouvera sa verve de croisière dans un rôle qu’il connaît bien. Témoin, le duo avec Norina, « Pronta son – Voi sapete », où, emporté par la situation (et par les vocalises de sa partenaire), il montrera toute sa truculence et une souplesse nouvelle. La strette de ce duo, puis l’accelerato final en chant syllabique seront échevelés à souhait et Giuseppe Grazioli en conduira les changements de tempo avec maestria.
De même que le trio du « mariage », scène d’action, où les trois complices s’amuseront beaucoup et où tout repose sur la battue du chef.

Une question de style
On ne qualifiera certes pas Omar Montanari de vétéran, mais il a l’expérience du rôle de Don Pasquale, et surtout cette chose assez mystérieuse à décrire, le style, c’est-à-dire la juste balance entre l’aisance vocale, la précision (rythmique notamment) et l’humour, la connivence respectueuse et décontractée avec cette musique issue bien sûr du bel canto bouffe rossinien (cf. ses truculents « Un foco insolito », puis « Io, Pasquale da Corneto » au premier acte). Mais on remarquera sa tendresse et sa fragilité dans le duo « de la gifle » au troisième acte
C’est une voix de baryton (rappelons que le rôle fut écrit pour Louis Lablache, qui était une basse aux graves insondables dit-on). D’où ici une proximité de timbre un peu dommageable entre Don Pasquale et Malatesta (le duo de l’acte III « Cheti, cheti immantinente » y perdra de ses couleurs).
On s’étonnne du choix de Joel Prieto pour chanter Ernesto. Dès sa cavatina, « Sogno soave e casto », quelque peu erratique, il semble chercher où placer sa voix. Certes il n’est pas un ténor di grazia. la voix est peut-être trop lourde et il semble en tout cas ne pas parvenir à l’alléger. On se demandera tout au long de son aria, « Povero Ernesto! – Cercherò lontana terra » (avec une belle partie de trompette par Marc-Olivier Brouillet), pourquoi ce chant en force, et accessoirement cette voix toujours de poitrine ?
Au fil de la représentation, il ne trouvera guère ses marques. Sa sérénade « Com’è gentil » (accompagnée à la guitare par Dario Solari !) sera disons assez maladroite, moins toutefois que le duo avec Norina « Tornami a dir che m’ami », qui le verra en déficit d’intonation.

En revanche la soprano Angelica Disanto est le lyrique léger qui convient à Norina. Elle fait entendre dès son air de salita, « Quel guardo il cavaliere », de beaux phrasés, des notes hautes aisées (jusqu’à un contre-ré bémol rutilant), des vocalises précises et de longs trilles impeccables. La voix a aussi un beau médium fruité. Dommage que la direction d’acteurs ne lui demande rien d’autre que d’être une peste et ne la mène que d’un costume à l’autre, d’abord soubrette à tablier blanc, puis vamp en trench et lunettes noires, puis poupée Barbie en fourreau lamé et étole de cygne (roses).
Mais vocalement, elle sera particulièrement brillante dans les grands ensembles concertants, le finale du premier acte notamment, grande architecture aussi complexe qu’irrésistible (où intervient un notaire qui naturellement semble un clin d’œil à Despina et à Cosi (Julia Deit-Ferrnand dans une brévissime intervention), impérieusement conduite par le Maestro Grazioli.

On a assez dit l’incongruité du tableau de Noël de la deuxième partie. Non seulement hors-saison, mais hors-sujet. Il nous vaudra un chœur des domestiques de Don Pasquale chanté par vingt-quatre Pierrots en costumes et bonnets roses, impeccablement mis en place par le juvénile Chœur de l’Opéra de Lausanne, avec une esquisse de chorégraphie très comédie musicale.
Un chœur à plusieurs voix particulièrement soigné par Donizetti, comme la mécanique de cet opéra-bouffe, cette horlogerie virtuose qui résiste à tout, et emporte finalement l’enthousiasme du public, pourvu qu’elle soit servie – c’est le cas ici – par une équipe soudée et jouant franc jeu.