Coproduction entre l’Opéra de Paris, Covent Garden, le Massimo de Palerme et le Liceu, la présente production de Don Pasquale a été créée à Garnier en 2018 puis reprise en 2019. Elle nous revient avec une distribution, une fois n’est pas coutume, largement française. Dans le rôle-titre, Laurent Naouri excelle dans une composition de barbon drôle et attendrissant. La voix n’a plus la fraîcheur d’antan, l’aigu est un peu tendu, l’agilité un peu en défaut, mais les graves sont sonores et la projection plus que respectable. Habitué des comédies d’Offenbach, le chanteur-acteur met à profit cette expérience pour nous offrir une prestation théâtralement parfaite. Déjà présent à la création de 2018, Florian Sempey n’est pas en reste en termes de vis comica et ses duos avec son partenaire sont de pures merveilles. Le jeune baryton est surtout le seul ce soir à défendre le belcanto. Ses vocalises sont bien en place, parfaitement déliées et son canto sillabico (ce chant au débit très rapide qui vise un effet comique) est digne d’un vieux routier italien. Sa voix sait surtout jouer des couleurs pour donner du sens aux mots. Enfin, le souffle est impressionnant. On sera plus réservé sur Julie Fuchs en ce domaine. Certes toutes les notes sont là (avec des aigus un peu durs à l’occasion), les vocalises sont bien en place, mais le chant est sans couleur, typique de celui d’une colorature à la française. La projection est un peu limitée et, lorsque la chanteuse tourne la tête vers un partenaire au lieu d’émettre vers la salle, on n’entend plus grand chose (la faute également à un non-décor qui ne renvoie pas les voix). L’actrice est en revanche impayable, d’une parfaite drôlerie, et son jeu travaillé à l’apparence du naturel. L’Ernesto de René Barbera est plutôt monolithique. Le chant est, là encore, avare de couleurs. L’émission est quasiment toujours forte, sauf à quelques rares reprises où le chanteur offre des nuances en voix mixte, comme un beau diminuendo à la fin de son air en coulisse au dernier acte. Artiste des choeurs, Slawomir Szychowiak est impeccable dans sa courte intervention. Les rôles muets (enfants, mère de Don Pasquale) sont très bien tenus et la composition de Marie-Pascale Grenier en auxiliaire de vie (rôle ajouté par le metteur en scène) est à la fois touchante et amusante.
On attendait beaucoup de Speranza Scappucci pour insuffler un peu d’italianità au plateau, mais ce sera pour une autre fois. Hélas, l’orchestre a chaussé des semelles de plomb et les gardera jusqu’à la fin du spectacle. A titre d’exemple, on pourra citer la trompette qui ouvre l’air d’Ernesto en première partie, d’un grand prosaïsme et pas vraiment en place. Les choeurs sont corrects sans plus, parfois un peu brouillon. Autre regret, ce chef d’oeuvre du belcanto est donné quasiment sans variations dans les reprises (à l’exception du second couplet de l’air final de Norina, mais dont l’exécution sonne quand même plus française que belcantiste). Un comble quand on pense que la veille à Bastille pour le Don Giovanni de Mozart quasiment tous les interprètes ornaient leurs reprises, ce qui reste d’ailleurs une rareté interprétative.
La production de Damiano Michieletto modernise gentiment l’ouvrage et fonctionne plutôt bien. On nous permettra de penser que l’intervention de marionnettistes n’était pas très utile, et en tous cas très mal exploitée. La reprise diffère sensiblement de l’original : à la création, Ernesto apparaissait comme un benêt immature amateur de jeux vidéos et Norina finissait par lui préférer Malatesta. ici, le déroulement final respecte le livret à la lettre. Le décor évidé de Paolo Fantin n’est pas très beau et a surtout le grand défaut de ne pas renvoyer les voix vers la salle, ce qui nous semble une erreur grossière. Les costumes d’Agostino Cavalca, dans le genre comique comme dans le style élégant, sont très réussis. Dans l’ensemble, on passe un moment agréable, mais ce soir, c’était Prima le parole, dopo la musica.