L’Académie Musicale de la Chigiana fête cette année la dixième édition de son Festival International et de son Académie d’été. Pendant deux mois plus de cent concerts irriguent le territoire siennois avec des propositions audacieuses comme ces seize focus sur le compositeur György Ligeti.
Cette année, la part belle est également faite au répertoire lyrique avec pas moins de trois productions, une première pour l’institution : au mois d’août, the Turn of the Screw de Britten ainsi qu’une création contemporaine, the Butterfly Equation – hommage à Giacomo Puccini – s’ajouteront au Don Pasquale proposé en cette fin juillet.
D’autres affiches allient prestige et gratuité, telle vendredi soir cette Symphonie n.5 de Beethoven par l’Orchestre Philharmonique de la Scala sous la Direction de Myung-Whun Chung sur la piazza del Campo. Le maestro a d’ailleurs pris le micro à l’issue de la représentation pour dire sa gratitude à l’institution qui l’accueillit comme stagiaire en son temps.
Voilà qui met la barre fort haut pour les élèves de Direction qui ont étudié l’opéra-bouffe de Donizetti sous les houlettes de Daniele Gatti et Luciano Acocella, à qui ils font honneur d’une baguette souple et nuancée pour Sieva Borzak et Giovanni Conti ; d’une belle énergie pour Sukjong Kim et d’une notable écoute du plateau pour Davide Trolton. L’Orchestre Senzaspine – qui accompagne les cours depuis trois ans – se prête de bonne grâce à ces changements de chefs en cours d’exécution sans nuire aucunement à l’écoute du spectateur.
« L’Opera-lab » porte donc bien son nom et Nicola Sani, directeur artistique de la Chigiana, évoque pour sa part un « festival laboratoire » avec, ici encore, une proposition assez unique puisque ce Don Pasquale fait collaborer quatre structures de formation italiennes de premier plan en chant, direction, lumières et décor qui « travaillent ensemble pour construire l’avenir du métier » avec quatre équipes professionnelles encadrant chacune de jeunes artistes.
Pour ce qui est de la scénographie, la soirée prend d’ailleurs une teinte singulièrement émouvante puisqu’elle est dédiée à William Orlandi, décorateur pour la Scala, en charge du projet siennois et tout récemment décédé.
Le dispositif qu’il a imaginé fonctionne parfaitement : la scène est fermée par trois panneaux blancs sur lesquels images et vidéos donnent à voir un univers tout à fait contemporain, celui du bureau hyperconnecté de la « Pasquale Financial Holding ». « Son nov’ ore », il est 9 heures précises lorsque le rideau se lève; la bourse ouvre à Paris et notre anti-héros semble fort satisfait du cours de ses investissements. Il le sera beaucoup moins vingt-quatre heures plus tard, lorsque le rideau tombera sur sa ruine, tous ses fonds ayant été siphonnés par la vénale Norina avec le soutien des choristes. Le chœur Guido Chigi Saracini accompagne la Chigiana dans l’ensemble de sa programmation et ne démérite pas dans les costumes façon Men in Black imaginés par l’Accademia di Belle Arti di Brera.
La proposition du metteur en scène Lorenzo Mariani est à la fois extrêmement efficace et pleine de drôlerie. La direction d’acteur précise, enlevée, réjouit de pitreries bien dosées et d’un impeccable sens du rythme.
C’est pourtant un défi que de mettre en scène une telle œuvre en une dizaine de jours ; ce temps limité permet d’apprécier d’autant plus le professionnalisme des solistes de l’Accademia del Maggio Musicale Fiorentino de Florence. Tous quatre d’un excellent niveau, ils jouent avec un plaisir manifeste et font merveille dans les ensembles, aussi équilibrés que nuancés.
Le Don Pasquale délicieusement bouffon de Matteo Torcaso s’enorgueillit d’une voix riche, bien posée et pleine d’autorité. Nikoletta Hertsak lui oppose un feu d’artifice vocal et scénique en Norina accro aux réseaux sociaux alimentés de photos en direct. « Quel guardo il Cavaliere » est même malicieusement transformé en un post instagram. Certes le personnage qu’elle compose ne prêche pas pour un féminisme éclairé : rouée, manipulatrice et cupide, elle est également tout charme et espièglerie. Le soprano rayonnant, les vocalises pyrotechniques, les pianissimi totalement maîtrisés, rendent sa prestation éminemment convaincante.
Elle donne la réplique sentimentale au ténor de stentor de Lorenzo Martelli dont l’Ernesto emporte également l’adhésion. D’abord hilarant attelé à son simulateur de golf sous son casque de réalité virtuelle, il sait se faire touchant lorsque sa tristesse éclate dans « Cercherò lontana terra » Le timbre, particulièrement brillant s’enrichit de nombreuses nuances mais pâtit d’une justesse problématique dans les aigus.
Le Docteur Malatesta enfin, trouve en Matteo Mancini un épatant interprète à la belle prestance, à la diction impeccable – comme tous ses camarades – y compris dans les passages les plus acrobatiques de canto sillabico au débit délicieusement hystérique.
Si seules deux représentations étaient prévues pour cette jolie production, il est en revanche possible de profiter de la programmation foisonnante du festival jusqu’à la fin de l’été dans le cadre sublime de la ville de Sienne.