La Fille du Régiment est une œuvre généreuse. Elle exige peu, et donne beaucoup en échange. Il suffit de deux grands belcantistes, de quelques chanteurs-acteurs suffisamment truculents pour les seconds rôles et d’un chef qui ait le sens du rythme et de la comédie. Dès lors que ces ingrédients sont réunis, le public est assuré de passer deux heures d’émerveillement, de rire et de plaisir vocal. C’est que Donizetti n’a pas lésiné sur la somptuosité de l’écriture, l’abondance de mélodies ou la vis comica dans sa description de la vie militaire.
Presque rien n’a vielli dans ce bijou de 1840, et le public liégeois réagit probablement de la même façon que les Parisiens de l’époque, s’amusant aux mêmes répliques, et se laissant transporter sur les ailes du bel canto le plus élégiaque ou le plus endiablé.
La mise en espace de Marie Lambert-Le Bihan ne va pas chercher midi à quatorze heures. Les contraintes sanitaires ne lui en laissent d’ailleurs pas vraiment le loisir, et il n’y a finalement pas grand chose d’autre que des entrées et des sorties, des costumes impayables (la Marquise de Berkenfield et la Duchesse de Crackenthorp sont particulièrement croquignolesques) et quelques accessoires. Il n’en faut pas plus pour laisser libre cours au talent des chanteurs, qui prennent un plaisir évident à amuser la galerie. Comme spectacle de reprise après huit longs mois de disette, on ne pouvait probablement pas rêver mieux.
@Opéra royal de Wallonie
Nous commencions ce compte rendu en évoquant les belcantistes requis dans les parties de Tonio et de Marie. L’Opéra royal de Wallonie a eu la main heureuse. Adulée du public local, la soprano belge Jodie Devos vaut à elle seule le déplacement. Son art de la colorature reste souverain, comme elle l’avait démontré à foison dans son album Offenbach. Elle déroule ses cascades de vocalise sans la moindre difficulté. Et sans jamais tomber dans le piège de la mécanique vocale, en colorant toutes ses lignes, particulièrement les aigus auxquels elle rajoute toujours une touche de sucre qui la rend si reconnaissable, et bannit toute dureté. Le Tonio de Lawrence Brownlee se situe sur les mêmes cimes. S’il s’économise en ce soir de répétition générale, ce qu’il fait entendre laisse entrevoir le glorieux soldat qu’il sera dès le lendemain. La voix est pleine d’éclat, d’une souplesse sidérante, l’effet produit sur l’auditeur est de l’ordre du magnétisme. Toute la grammaire du bel canto est convoquée, et proclamée. Il n’est pas jusqu’au moindre trille, à la plus subtile roulade, au plus périlleux grupetto qui ne recoive son dû. Le français est excellent dans les moments de chant, et, dans les répliques parlées, l’accent américain est d’un exotisme finalement bien en situation.
Les rôles secondaires s’inscrivent dans une autre veine. C’est à eux qu’incombe la tâche de rendre les aspects plus vaudevillesques de la pièce. On a donc choisi des formats vocaux plus modestes, qui sont par contre de vraies bêtes de scène. Le Sulpice de Pietro Spagnoli et la Marquise de Berkenfield de Julie Pasturaud assurent crânement leurs parties, mais c’est dans les dialogues qu’ils laissent éclater leur talent et mettent le public dans leur poche. Quant à Patrick Delcour, son doublé Hortensius/Duchesse de Crackenthorp est à se tordre de rire.
Jordi Benàcer tient son orchestre bien en main. Très rigoureux sur les aspects rythmiques, le maestro espagnol semble prendre au sérieux une écriture orchestrale de Donizetti que d’aucuns ont décriée. Cela sonne précis, ample, presque majestueux par moments. Dispersés dans la salle, les Chœurs de l’Opéra royal de Wallonie sont pourtant parfaitement synchrones, jusque dans le périlleux concertato qui clôt l’acte I. Chez eux comme chez les instrumentistes (le violon et le violoncelle solos !), on sent une volonté d’en découdre qui augure bien de la reprise lyrique à venir.