Proposer en version de concert La Fille du régiment est un choix a priori surprenant. Le premier ouvrage lyrique en langue française de Donizetti relève du genre opéra-comique. L’alternance de textes chantés et parlés semble peu compatible avec l’absence de mise en scène. Son succès, jamais démenti, le classe parmi les fleurons de sa catégorie quand l’option concertante est le plus souvent réservée aux ouvrages rarement joués.
Confier un ouvrage patriotique à l’Orchestre de la Garde Républicaine s’inscrit en revanche dans une logique imparable. Sous la baguette narquoise d’Hervé Niquet, les cuivres semblent prendre un malin plaisir à rutiler et les timbales à rouler. Non exempt de pesanteur, l’excès d’entrain nuit parfois à la mesure et dans la première partie à la balance entre voix et instruments. La représentation suivante, ce mercredi 5 avril, devrait résoudre les quelques écarts de mise en place. Formidable d’unité, le chœur de l’Armée française s’épanouit avec le naturel joyeux que l’on peut attendre d’un ensemble à vocation militaire dont la vingtaine de membres interprètent autant de soldats.
Côté chanteurs, il s’agit de donner vie aux personnages sans le soutien du théâtre et de ses apparats – costumes, décors… Avoir chanté La Fille du régiment sur scène à Liège aide Jodie Devos à endosser le rôle de la vivandière. L’aisance avec laquelle elle coiffe la charlotte donizettienne n’en est pas moins admirable. La légèreté de la voix accentue la jeunesse de Marie. L’agilité prend le pas sur la sensibilité, la virtuosité de « Aux bruits de la guerre » sur la mélancolie de « il faut partir ». Mais le charme se dispute à l’humour notamment au deuxième acte lors d’une leçon de chant allègrement massacrée. La justesse du ton et l’évidence de la diction ne sont pas les moindres atouts d’une interprétation ovationnée par le public.
Fraîcheur et sincérité caractérisent aussi la manière dont Sahy Ratia aborde Tonio. Même légèreté, même musicalité : les deux amoureux sont en symbiose, condition indispensable à l’équilibre de la représentation. Étaient évidemment attendus les neuf contre-ut de « Pour mon âme » ; ils répondent à l’appel, crânement envoyés d’une voix claire et égale. « Pour me rapprocher de Marie » souffre d’un défaut de couleurs mais non de style. Voilà un ténor dont le sens du phrasé devrait trouver matière à s’épanouir dans le répertoire de la Salle Favart.
Les autres rôles veulent des interprètes comédiens autant que chanteurs. Là encore, rien à redire, de Marc Labonnette, Sulpice bonhomme, loin de toute outrance, à la Marquise drolatique de Doris Lamprecht, grande dame perchée aux faux airs de Valérie Lemercier, sans oublier – last but not least – Felicity Lott qui en peu de répliques impose une Crakentorp au chic incomparable.