Explorant à nouveau les coulisses du monde lyrique – thème de cette 73e édition – après la superbe proposition de the Critic, le festival de Wexford creuse la même veine avec une rareté à couper le souffle : Le convenienze ed inconvenienze teatrali, c’est-à-dire les conventions et inconvénients du théâtre. Ce titre programme permet à Donizetti de décliner sur scène tous les poncifs, codes, travers du métier, tous les impondérables humains ou financiers en mesure de compromettre l’équilibre funambulesque d’une création lyrique.
Naturellement la troupe qui répète cette improbable pièce s’avère assez médiocre, ce qu’accentue encore la transposition dans les années 1980 avec des costumes et perruques délicieusement ringards dus à Madeleine Boyd.
Dès cette première répétition, les egos sont gonflés à l’hélium, caprices et chantages vont bon train pour obtenir qui un solo, qui un duo, et ainsi, enfin, percer. Les rivalités sont exacerbées par l’intrusion de la mère de la Seconda Donna qui, comme le veut la tradition du genre, nourrit les ambitions les plus démesurées pour sa progéniture au point que – nouvelle Arnalta – elle l’a biberonnée à la testosterone.
En effet, c’est l’extraordinaire Paolo Bordogna qui campe cette Mamma Agata d’anthologie. Proprement hilarante, elle massacre consciencieusement l’air du saule extrait d’Otello en improvisant les paroles qui lui échappent ou encore s’essaie à une chorégraphie sur pointes – ce avec une indéniable crédibilité qui plus est !
Aussi impeccable musicalement que désopilant, le baryton prend le pouvoir de la production fictive comme du plateau du National Opera. Il remplace le texte par des onomatopées avec désinvolture ; singe, détourne ou ruine les effets attendus d’un grand air d’opera seria avec une facilité confondante… Quelle technique, quel incroyable abattage, vraiment !
Que vient faire Bernstein dans cette galère, me direz-vous ? Il satisfait à l’habitude des airs d’emprunts en forme de clin d’œil, dont le compositeur lui-même émailla ses représentations en son temps. Ainsi, Alberto Robert, Premier ténor à l’émission franche et naturelle, veut absolument monter la Mélodie du bonheur et finit par renoncer à trouver ici sa Maria sur l’air de « Come Gentile » de Don Pasquale interprété d’ailleurs avec beaucoup de sensibilité.
Les bouffonneries trouvent également en Giuseppe Toia un comparse de choix. Epoux et manager de la Prima Donna, il dessine de son baryton rond et bien projeté une silhouette à la fois retorse et énamourée tout à fait réjouissante. Matteo Loi, William Kyle, Hannah Bennett, Philip Kalmanovitch et Henry Grant Kerswell complètent avantageusement une distribution parfaitement au diapason.
On aurait aimé plus entendre le soprano agile et bien campé de Paola Leoci, fille sous influence, tétanisée par cette mère dragon, qui pourrait supplier « Saint Georges protégez-nous » comme un personnage de Lucky Luke* lorsque Peter Mario Katona lui propose un rôle à Covent Garden… pour peu qu’elle y vienne seule.
La bouffonnerie infuse la moindre réplique, les chorégraphies crées par Amy Share Kissiov singeant les comédies musicales de Broadway ou le ballet contemporain façon Bob Wilson sont désopilantes et remarquablement exécutées par des danseurs survitaminés. Orpha Phelan, irlandaise, connaît le festival depuis toujours, elle offre une mise en scène aussi millimétrée que jubilatoire où ses talents de directrice d’acteur pousse chacun à jouer le jeu de l’autodérision et de la caricature avec un talent confondant.
Comme de juste, cette mécanique de précision ne fonctionnerait pas sans une cheffe extrêmement investie, totalement à l’écoute du plateau, c’est le cas de Danila Grassi qui tire le meilleur de l’orchestre et des pupitres masculins du chœur du festival.
La partition éminemment exigeante de Donizetti trouve donc ici des interprètes de haute volée et la salle sera sans doute à nouveau debout les 25, 28 octobre ainsi que le 2 novembre pour les prochaines représentations dont on n’ose imaginer que ce soient les dernières.
*La caravane, tome 24