Lucrezia Borgia, malgré les qualités certaines d’une œuvre qui joue avec les codes du mélodrame dans une veine tragi-comique, trouve rarement les honneurs d’une production scénique. Le Teatro dell’Opera di Roma lui en consacre une nouvelle dirigée par Roberto Abbado et mise en scène par Valentina Carrasco autour de distributions solides(deux en alternance) ; une première depuis le mois de mai 1980 et la présence d’une certaine Joan Sutherland dans la capitale italienne.
Pourtant le subtil équilibre qui permet l’alchimie bel-cantiste ne se produit pas toujours sur la scène romaine. En fosse, l’orchestre est irréprochable et présente une homogénéité sans faille dans les ensembles, de même que la virtuosité nécessaire pour rythmer les finals des scènes et des actes. Il faut en reconnaitre la paternité au geste de Roberto Abbado qui épouse en cela une tradition interprétative bien ancrée. Pourtant, la pâte orchestrale restera épaisse toute la soirée durant, alourdissant ce faisant le récit et par extension la tension dramatique.
A l’inverse la proposition scénique de Valentina Carrasco souffre de sa légèreté : presque pas ou peu d’éléments de décors, à l’exception de grandes tentures, d’une table de banquet et de quelques fauteuils. L’effet visuel en est certes plaisant mais offre peu de ressort scénographique et dramaturgique et donne lieu à une direction scénique assez incongrue : les personnages se drapent dans les rideaux, les lieux restent le plus souvent indéfinis et les échanges entre les personnages très convenus. Surprenant de la part d’une metteuse en scène novatrice voire iconoclaste (son Ring en version réduite au Teatro Colon de Buenos Aires par exemple), les quelques vidéos et projections autour d’attributs féminins – une échographie, une radio du bassin – ne viennent irriguer en rien le combat intime entre l’amour maternel et la volonté de puissance meurtrière du personnage principal.
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La distribution enfin apporte un certain nombre de satisfactions. Le chœur rejoint l’orchestre dans la qualité de l’exécution musicale, et les comprimari sont tous tenus avec style et panache. Le quatuor principal s’avère bien plus contrasté. Teresa Iervolino maitrise l’ensemble des codes du chant bel-cantiste. La mezzo pâtit à notre sens d’une couleur bien claire pour un rôle de véritable contralto et donc d’un manque de projection notable dans les ensembles. Maffio Orsini en ressort pâle et manque de vis comica. A l’inverse, Carlo Lepore taille Alfonso dans le bloc de marbre d’une voix solide et sonore. Le portrait s’arrêtera malheureusement là. On pourrait reprocher une même approche à Enea Scala dont le Gennaro brille par sa fougue plutôt que par ses demi-teintes. Il faut noter que le ténor a accepté d’enchainer trois représentations en trois jours pour pallier une défection de dernière minute : son air du deuxième acte sera ce vendredi soir coupé. Angela Meade enfin domine le plateau. Le chant est orné en permanence et la grammaire bel-cantiste exécutée avec aplomb dans des vocalises ébouriffantes. Le soprano bénéficie d’un charisme scénique qui ne se dément pas avec les années et campe une Borgia aussi autoritaire face à ses ennemis que sensible dans les scènes tendres avec son fils. Il ne manque que certaines extrapolations dans le registre aigu, là encore fruits de la tradition plus que de la partition, pour compléter cette eau-forte d’excellente facture.