La mort de Maria Malibran en pleine gloire, à 28 ans à peine, eut un retentissement international bien au-delà du cercle étroit du monde lyrique. Vivement émus des compositeurs qu’elle avait servis ou qui rêvaient qu’elle le fît s’associèrent pour lui élever un tombeau musical. Il figurait au programme de l’édition 2023 du ROF (Rossini Opera Festival) bien que, à ce qu’il semble, Rossini ait décliné l’offre d’y participer pour honorer l’interprète de ses Semiramide, Rosina ou Angelina… Le Teatro Rossini étant fermé pour travaux et l’auditorium Pedrotti inaccessible lui aussi, le concert était donné au Teatro Sperimentale, petite salle qui n’avait pourtant pas fait le plein.
L’œuvre, créée au Teatro alla Scala le 17 mars 1837, se veut un parcours depuis la stèle élevée à Manchester, où la cantatrice mourut, jusqu’au monument dédié par Milan à la grande artiste. Elle débute par une marche funèbre écrite par Donizetti en forme d’ouverture qui semble l’écho de celle de Maria Stuarda dont la cantatrice avait souvent interprété le rôle-titre. Avant une péroraison un peu grandiloquente, timbres plaintifs, scansions qui oppressent, saccades vaines pour désarçonner l’inéluctable, ont exprimé l’amertume révoltée engendrée par la perte irréparable..
Giovanni Pacini, dont Maria Malibran avait créé Irene, ossia L’Assedio di Messina, a mis en musique les vers écrits par Antonio Piazza. Ce littérateur, dans le texte intitulé « Le mémorial de Manchester » rassemble les lieux communs de la fragilité (les fleurs) et de la célébrité (les lauriers) et présente Maria Malibran comme une croisée de l’art italien. Pacini mobilise un chœur féminin, un chœur masculin, et cinq solistes, un ténor, un baryton et une basse, pour lesquels il organise des entrées séparées, puis simultanées, créant ainsi une palette harmonique assez variée sans cesser d’être une déploration.
Le troisième mouvement – « L’inauguration » – est mis en musique par Saverio Mercadante, dont Maria Malibran avait chanté Il crociato in Egitto. Soprano, ténor et basse ont des entrées distinctes avant que le compositeur ne tresse les voix en guirlande funèbre sur accompagnement des chœurs. Le chant de la défunte, délicat comme celui de la harpe, rayonnant comme un astre, était un espoir dont la lumière ouvrit le ciel, qui l’emporta, la laissant à peine exhaler un dernier soupir.
Aujourd’hui bien oublié, Pietro Antonio Coppola avait dans les années 1830 une grande réputation ; il participe à l’œuvre collective en mettant en musique le poème « La couronne » qui est celle de lauriers déposée sur la stèle commémorative. Après une citation du « Ah non giunge » de La Sonnambula que la Malibran avait si souvent interprété et qui rend ainsi hommage à Bellini décédé lui aussi dans la fleur de l’âge en 1835, il revient au baryton de déclamer le texte qui relie les lauriers de la gloire théâtrale à la palme de la vertu. Ce monument élevé en Angleterre n’est que le premier et les lauriers ceux d’une gloire éternelle, péroraison confiée à la virtuosité de la voix de soprano sur la courbe d’une valse lente avant une cabalette
Le dernier mouvement a pour titre « Le monument de Milan » et fait logiquement la part belle aux chœurs, puisqu’il évoque l’émulation entre les admirateurs de l’artiste et réaffirme le droit de préemption de l’Italie, en évoquant les personnages de Norma et d’Amina. La musique est signée Vaccaj, dont Maria Malibran préférait chanter le dernier acte de son Romeo e Giulietta à la place de celui des Capuleti e Montecchi. Tous les solistes interviennent, seuls, à deux, ensemble, et c’est bien un final d’opéra que l’on entend, dans cette progression sonore qui vise à laisser l’auditeur pantelant.
Sans entrer dans le détail de chaque prestation, tressons des lauriers aux solistes, les sopranos Giuliana Gianfaldoni et Lyaila Alamanova, le mezzosoprano Shachar Lavi, le ténor Dave Monaco, le baryton plutôt baryton-basse Michael Mofidian, et Giorgi Manoshvili, indiscutablement une basse. Dans l’étui de cette petite salle leurs voix sonnent sans qu’il leur soit nécessaire de forcer le moins du monde. Nous supposerons la prestation des chœurs à la hauteur de la contribution attendue, n’ayant pu les entendre nettement. Bonne prestation des musiciens de l’orchestre Filarmonica Gioachino Rossini, que le jeune Diego Ceretta dirige avec une précision et une conviction communicative. Succès très vif, et applaudissements prolongés jusqu’à l’obtention d’un bis.