Verbier a ses rites, que le nouveau venu découvre peu à peu : l’orage sur la salle Médran en est un, incontournable, de ceux que l’on regretterait presque s’ils n’advenaient pas. Dame, un Verbier sans déluge tambourinant la grande toile blanche et grondements célestes serait comme un Orange sans vent, des Champs-Elysées sans toux, une incongruité. Le ciel fut prodigue cette année. On se rend vaguement inquiet dans la grande salle, conscient que le travail de sonorisation subtile et efficace, palliant quelque peu les défauts du lieu (notamment par une légère réverbération bienvenue), sera de peu de poids face aux trombes annoncées . Et un autre rite survient, celui du changement de programme. L’an dernier, Barbara Bonney avait remplacé au débotté Renée Fleming pour la partie de soprano du Requiem de Mozart, et faisait ainsi son entrée à Verbier. Cette année, c’est elle qui rend les armes, vaincue par une indisposition subite, que l’on regrette d’autant plus qu’on a assisté la veille à une master classe passionnante sur Cosi fan tutte, avec une Barbara Bonney efficace, toute d’humour, de finesse d’analyse et d’empathie. Bonney indisponible, tout le programme de la première partie s’écroule, puisqu’il était construit sur le duo Bonney-Kirchslager, avec des œuvres de Mendelssohn, Schumann, Saint-Saens, Chausson, Massenet et Fauré. Angelica Kirchslager, nouvelle venue à Verbier, a construit en urgence un programme de lieder, et s’excuse d’emblée de ses probables imperfections, vu le peu de temps de préparation. Quant au Knoxville attendu de Barber, c’est Measha Brueggergosman, encore présente à Verbier, qui le reprend au vol, familière de l’œuvre mais n’ayant pu bénéficier du moindre raccord avec l’orchestre. Et l’orage explose …
Dès les premières notes, on se demande de quelles imperfections pouvait bien parler la belle Angelica Kirchslager, bien secondée au piano par Simon Lepper . Malgré l’accumulation de difficultés atmosphériques et circonstancielles, elle embrase aussitôt le trop large plateau d’une présence élégante et magnétique. La voix n’est guère puissante, mais superbement projetée, le timbre mordoré de riches harmoniques, le texte savouré, offert, sens général immédiatement perçu même par des non-germanistes pour lesquels un programme muet n’offre aucune aide (ce que l’on pardonne ici volontiers compte tenu du changement de dernière minute). Le menu est fort bien construit, les airs de Korngold offrant la transition idéale avec la seconde partie. Une belle performance acclamée par le public, chanson canaille de Weill en prime, gageons qu’elle sera de retour l’an prochain…
La Siegfried-Idyll dirigée par Takacs-Nagy souffre d’un manque de graves que l’on mettra au compte de l’acoustique, mais peut-être aussi des effectifs instrumentaux). Mais elle est fort bien conduite, avec ferveur, par un Orchestre de Verbier version chambre décidemment cette session plus subtil que la grande formation.
Knoxville : Summer of 1915 op. 24 de Barber est une sorte de rhapsodie lyrique pour soprano, œuvre très appréciée des chanteuses américaines dont beaucoup l’ont enregistrée : Steiber, Battle, Upshaw, Hendricks notamment… Il est vrai qu’il faut ici chanter en sachant assumer son côté Deep South, moiteur nostalgique, langueur caressante, sensualité élégante, en somme restituer, diction et style vocal compris, une indéfinissable authenticité. Tout cela, Measha Brueggergosman l’assume évidemment avec splendeur, et pas seulement par son arbre généalogique, en totale complicité avec un chef d’orchestre éloquent. Intelligence d’un chant qui sait quand il le faut retenir son ampleur naturelle, présence splendide en scène, charisme, technique aboutie qui lui fait aborder sans difficulté apparente les échappées de tessiture vers le haut comme le grave (medium d’une belle solidité). L’orage en fond de jalousie …
Sophie Roughol