Le site gallo-romain de Sanxay, en Poitou-Charentes, distant d’une trentaine de kilomètres de Poitiers, s’affirme depuis l’an 2000 comme le troisième festival lyrique en plein air de France, grâce à l’inépuisable dynamisme de son directeur artistique, Christophe Blugeon, qui a su très tôt repérer de grandes voix comme Luca Lombardo, Stefano Secco, Lianna Haroutounian ou Florian Sempey, restées fidèles à ce rendez-vous. Pour la 14e édition des Soirées Lyriques de Sanxay (prononcer « Sanssay »), le choix s’est porté sur Madame Butterfly. Il s’agit d’un souhait ancien de Christophe Blugeon, attaché à Puccini et à cette œuvre, mais aussi parce que ce festival a été conçu pour faire découvrir l’opéra au plus grand nombre et que pour cela les grandes œuvres – mais non point les plus faciles – s’imposent. Après Rigoletto, Carmen, La Traviata, Nabucco, Tosca, La Bohème, Le Trouvère, Aïda, Norma et plusieurs soirées de concerts lyriques, le cadre bucolique du bocage poitevin accueille donc l’imagerie orientale de cette tragédie japonaise. Décors sobres, efficaces et raffinés de la mise en scène du Brésilien Mario Pontiggia, travail tout en nuances du créateur des lumières, l’Espagnol Eduardo Bravo, avec de magnifiques variations de couleurs à l’acte II notamment, superbes costumes de la Japonaise Shizuko Omachi – le spectacle, d’une grande poésie visuelle et d’un classicisme de bon aloi, est proprement éblouissant et incite au rêve.
La disposition de la scène – structure provisoire installée le temps du festival sur l’emplacement du théâtre actuellement en ruines – permet au public de voir simultanément, pendant le premier acte, le coucher de soleil sur le paysage de la Vienne et les cloisons colorées de la maison de Cio-Cio San au pays du Soleil levant. À l’issue du deuxième acte, c’est le spectacle des étoiles et en particulier de la Grande Ourse, située juste au-dessus de la scène ce soir, qui succède, comme un rappel du duo de la fin du premier acte (« Dolce notte ! Quante stelle ! » Douce nuit ! Que d’étoiles !) à celui des arbres en fleurs. Le drame intimiste s’élargit aux dimensions de l’univers, Nagasaki s’invite dans le canton de Lusignan.
L’orchestre, constitué de soixante-quinze musiciens invités à titre personnel et issus de l’orchestre de Poitou-Charentes mais aussi de Paris, du Capitole de Toulouse, de Tours, de Nancy et du CNSMD de Paris, placés sous la direction subtile et nuancée de Didier Lucchesi, donne une interprétation raffinée, après quelques flottements initiaux, sachant se faire discret parfois et prenant de l’ampleur dans les moments les plus expressifs sans pour autant écraser les voix. On ne peut que louer la prestation des chœurs dirigés par Stefano Visconti, et l’équilibre entre les voix et la musique est parfaitement réussi.
De la même manière, les rôles sont judicieusement distribués : la soprano Lianna Haroutounian, qui a été l’année dernière en ces lieux une Traviata remarquée et qui a récemment remplacé brillamment Anja Harteros dans Don Carlo au Royal Opera de Londres, est une Cio-Cio San bouleversante, débordante de passion et servie par la puissance de sa voix dont le vibrato initialement très marqué est rapidement maîtrisé au profit d’une belle projection et de magnifiques aigus. Suzuki est interprétée par la mezzo-soprano roumaine Elena Cassian, particulièrement émouvante et crédible dans ce rôle où elle affirme un véritable talent. La soprano Sarah Vaysset compose avec beaucoup d’élégance une Kate Pinkerton pressante et distante à la fois.
Du côté des hommes, la voix chaleureuse et la prestance du ténor brésilien Thiago Arancam – un habitué de Sanxay où il a interprété Radamès dans Aïda en 2009, Pollione dans Norma en 2010 et Don José dans Carmen en 2011 –, alliées à un timbre clair et à une émission parfaite, lui permettent de modeler toutes les facettes du personnage de Pinkerton, plus complexe qu’il ne paraît et auquel il prête son charisme. Le duo de la fin de l’acte I est un moment enchanteur. Le baryton suédois Kosma Ranuer est un consul très digne, personnage auquel il donne fière allure grâce à son timbre de bronze et à une diction exemplaire. Et quel luxe d’entendre en Goro le ténor chinois Xin Wang, titulaire de nombreux prix lyriques, qui donne au personnage de l’entremetteur une consistance inhabituelle – avec quelques passages joués de manière comique, formant un contrepoint bienvenu à l’insoutenable tragédie qui se joue. Luxe encore de pouvoir écouter la voix noire et le timbre profond de la basse hongroise Balint Szabo en Oncle Bonze, et l’excellent baryton français Florian Sempey, remarqué depuis quelque temps déjà sur diverses scènes, notamment en Figaro la saison dernière, qui interprète ici avec toute la solennité requise le prince Yamadori. Ces deux artistes sont d’ailleurs aussi des habitués de Sanxay et restent fidèles aux Soirées Lyriques en continuant d’apporter leur concours, même pour de petits rôles.
Signalons enfin la présence très réussie de figurants habitant la région, qui ont participé aux répétitions durant plusieurs semaines. S’ils ne peuvent être tous cités ici, évoquons simplement le benjamin, le petit Robin Mèneteau qui interprète avec vaillance le fils de Cio-Cio San.
Parmi les quelque 1800 spectateurs réunis ce soir, nombreux étaient ceux qui assistaient pour la première fois à un opéra : en entendant au cœur de la Vonne, dans un cadre champêtre et en même temps marqué par l’histoire, des voix parmi les plus grandes, ils ont eu accès d’emblée à un spectacle d’excellente qualité et qui suscite le désir d’opéra. D’autres à l’inverse revenaient après avoir découvert ici-même ce qu’est un spectacle lyrique. La magie a opéré, le défi est relevé. Saluons le travail des deux cent cinquante bénévoles qui ont œuvré pour le succès de ces soirées, et souhaitons à présent que les autres rêves de cet amoureux d’opéra qu’est Christophe Blugeon, le directeur du festival, se réalisent dans les années à venir. La programmation de 2014 devrait être connue au début de l’automne.
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