Cet Enlèvement au sérail, à l’affiche du Staatsoper de Berlin depuis trois ans dans cette mise en scène de Michael Thalheimer, a le mérite de recentrer l’attention du public sur le chant – ce qui ne gâte rien quand celui-ci est aussi abouti – n’en déplaise aux amateurs de charivaris scéniques.
En fait de mise en scène, il convient plutôt de parler de mise en espace tant le domaine dédié aux chanteurs se modifie au fil de l’œuvre. Tantôt les chanteurs se lèvent d’un siège de l’orchestre, tantôt ils se glissent entre la fosse et le parterre, tantôt la scène à géométrie variable se divise en deux dans le sens de la hauteur tandis que l’éclairage inversé projette l’ombre des protagonistes sur les murs du théâtre.
Cette recherche de simplicité et d’épurement se retrouve également dans les costumes des chanteurs (blanc pour les solistes, noir pour les chœurs) dont les mouvements retenus ne sont pas sans rappeler l’école de Robert Wilson, à l’exception notable de Blonde et de Pedrillo qui incarnent les personnages comiques de l’opéra. Ils sont ainsi costumés et grimés de façon outrancière (crête orange et jambes peintes sous un smoking short pour Pedrillo, robe fuchsia soulevée par un bouillonnement de tulle, maquillage blafard et perruque noire de jais façon Blanche Neige pour Blonde). Ces deux lurons détonnent également par leurs galopades effrénées, leurs simagrées et autres simulations lascives, tandis que le personnage d’Osmin, à cheval entre ces deux mondes – celui des maîtres et celui des serviteurs ou de l’opéra sérieux et de la comédie – se distingue par un jeu dénué de toute convention et une liberté d’apparence (il porte un pantalon de survêtement sur des poulaines de chauffeur de camion tamoul qui, avec les mains teintes au henné, constituent les seules touches d’orientalisme de la soirée).
Le fil narratif souffre également de ce parti pris d’absence complète de décor – une méchante chaise apparaît au bout d’une heure et demie, rejointe par trois autres lors de la scène finale – si bien que les situations sont souvent suggérées par de discrets indices. Ainsi la menace de mort qui pèse sur les fuyards lors de la dernière scène est symbolisée par le bandeau noir qu’ils portent sur les yeux tels des condamnés. Le choix d’émailler les récitatifs de locutions anglaises ou italiennes, compréhensibles de tous, n’a t-il pas pour but d’illustrer le propos du choc des cultures entre les différentes nationalités qui se côtoient dans cette histoire : turque d’un côté, espagnole et anglaise de l’autre ?
Si la mise en scène se veut discrètement innovante, la prestation musicale reste classique. L’orchestre de la Staatskapelle placé sous la baguette de Christopher Moulds présente une belle amplitude de nuances dans l’exécution de la partition. Les quelques ralentissements inaccoutumés et autres points d’orgue qui s’éternisent interviennent pour les besoins de la mise en scène. Le plateau se distingue par son homogénéité. Kenneth Tarver est un Belmonte idéal : Son timbre uniforme sur toute l’étendue de son registre, son souffle parfaitement réglé, son émission claire et sonore sans effort apparent, sa diction parfaite font de ses airs des purs moments de bonheur. La Konstanze de Maria Bengtsson se caractérise par un timbre sombre et une voix généreuse. La soprano colorature suédoise rompue aux rôles mozartiens surmonte toutes les difficultés de ses airs les plus acrobatiques. Après « Martern aller Arten », on est immanquablement séduit par sa maîtrise de la pyrotechnie vocale. La large voix d’Andreas Hörl, aidé par son physique à l’avenant, donne toute sa crédibilité au personnage d’Osmin. Sa basse puissante dans ses nombreux airs de colorature a néanmoins tendance à s’affaiblir dans la profondeur du grave, rendant le ré grave confidentiel. Cornelia Gôtz (Blonde) darde ses interventions de piquants aigus tandis que le reste de ses phrases perd en musicalité en raison d’une trop grande différence dans le timbre. Florian Hoffmann présente un Pedrillo également inégal, le soutien de sa voix est encore mal assuré ce qui ne lui permet pas de maîtriser parfaitement ses airs les plus difficiles, en revanche, il est vocalement convaincant dans les ensembles. Il convient enfin de relever que le rôle parlé du pacha Selim tenu par Sven Lehmann est parfaitement insupportable. Sa voix éraillée, son débit qui tient plus de l’éructation que de l’élocution donnent un caractère plus névropathe que cruel au personnage, ce qui ne laisse nullement transparaître la grande bonté, la noblesse et l’infinie sagesse du personnage à l’instar de Sarastro dans La flûte enchantée.
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