En alternance avec Pelléas et Mélisande dans la mise en scène de Bob Wilson (1997), l’Opéra Bastille présente à l’Amphithéâtre un diptyque lyrique de Debussy, Le Diable dans le beffroi (à peine esquissé) et La chute de la Maison Usher, œuvre inachevée encore que pourtant bien connue : on sait qu’après la commande du Metropolitan Opera (1908), le compositeur a du mal à mettre en musique le livret, et abandonne finalement le projet quelques années plus tard. Plusieurs tentatives ont déjà été faites pour sinon reconstruire l’œuvre, du moins l’évoquer de manière plausible (on pense à la version de Juan Allende-Blin enregistrée par Georges Prêtre, et surtout à celle toute récente de Robert Orledge). La nouvelle tentative proposée par l’Opéra français de New York (2009) est certes sympathique, mais apparaît plutôt comme un pas en arrière, et le tandem Clarac et Deloeil semble avoir été bien davantage inspiré par Le Martyre de saint Sébastien (voir brève).
Dès le début, l’interprétation un peu chaotique de « The Snow is dancing » (Children’s Corner, 1908) par Jeff Cohen contribue à installer un certain malaise que le prologue va affirmer. En effet, mettre le spectateur en situation – qu’il soit adulte ou adolescent puisque le spectacle a des prétentions « jeune public » – peut se faire de quantité de manières différentes, sans obligatoirement obliger un acteur ultra-sonorisé à lui hurler dans les oreilles, lui donner le tournis ni venir lui postillonner dans la figure : quelles que soient les qualités d’Alexandre Pavloff, indéniables par ailleurs, cette prestation d’une durée « interminable » d’une demi-heure était totalement insupportable. Le résultat, c’est qu’après avoir subi cela et avoir résisté à l’envie de fuir, on n’est guère en condition pour apprécier sereinement ce qui va suivre.
Entrer dans le vif du sujet n’est donc pas, on l’aura compris, chose facile dans ces conditions. Et l’on a bien du mal à croire, malgré tous les efforts des chanteurs – qui sont tous trois excellents encore que sur-dimensionnés pour cette petite salle trop sonore – à ces personnages morbides qui se débattent sans espoir dans le vague décor d’une bibliothèque hitchcockienne. D’autant que le dédoublement du personnage de l’Ami oblige à la présence de l’acteur et du chanteur côte à côte, procédé éculé contribuant à brouiller encore davantage la perception scénique voire musicale. Pas vraiment de mystère, pas de terreurs incontrôlées (on est loin de l’atmosphère du Tour d’écrou), pas non plus d’interrogations métaphysiques ni psychologiques : est-ce la faute de l’œuvre, de son inachèvement, de sa transposition ou du lieu scénique atypique et froid ? Ne revenons pas sur le texte parlé, mais l’intercalation de mélodies (et tout particulièrement « La Chevelure », 1887) renforce encore plus une évocation de Pelléas ici hors de propos : pourquoi contribuer à y replonger Debussy, alors que lui-même, écartelé entre le symbolisme et l’expressionnisme, souhaitait vainement s’extraire du langage harmonique de son opéra ?
A l’issue de cette évocation plus proche de la matinée littéraire et musicale scolaire que de la représentation théâtrale, une seule solution : retourner à la version DVD Orledge/Foster/Hendricks (Bregenz 2007)…