Quelques semaines après une soirée consacrée à la célèbre Pauline Viardot, Graham Johnson met cette fois toute son énergie au service de la mémoire d’un autre salon musical qui anima, à la fin du XIXe siècle, la place de Paris : celui, aujourd’hui un peu oublié, de Marguerite de Saint-Marceaux.
Née en 1850, décédée 80 ans plus tard, Marguerite de Saint-Marceaux n’était pas, contrairement à Pauline Viardot, une musicienne reconnue. Tout juste consentait-elle à donner de la voix pour quelques mélodies que lui apportaient quelques convives de ses soirées Boulevard Malesherbes. Mais son éducation musicale assez poussée, son goût très sûr quoique plutôt conservateur et ses opinions pour le moins tranchées faisaient des salons musicaux qu’elle organisait de véritables viviers, où tous les talents de l’époque se rencontraient régulièrement. Les poètes, les peintres, les sculpteurs y avaient toute leur place, mais ce sont les compositeurs qu’elle chérissait par-dessus tout, et qui faisaient le prix de soirées qui, reconnues ou pas par la postérité, furent en leur temps très courues, au point que l’on se demanda si Proust ne s’est pas inspiré de Madame de Saint Marceaux pour dépeindre sa Madame Verdurin.
Comme pour l’hommage à Pauline Viardot, Nicolas Vaude fait office de récitant, et des commentaires assez détaillés nous éclairent sur la vie et le parcours de Marguerite de Saint Marceaux. Ils sont souvent instructifs, parfois drôles (elle tombe à point nommé, cette petite phrase de Fauré prédisant à sa bienfaitrice une « attaque de snobisme »), mais ne sauraient faire oublier que c’est encore la musique qui fait tout le prix de la soirée. Evoquer les salons musicaux du Paris de l’époque revenant à jouer Fauré, Chabrier, Gounod, Debussy et Ravel, qui commença par séduire son hôtesse avant de la dérouter en lui présentant ses Histoires naturelles, c’est avant tout le chant qui nous faisait attendre beaucoup de cette soirée.
De ce point de vue, pas de déception : Jennifer Smith comme Yann Beuron se sont avérés deux récitalistes magnifiquement complémentaires. Elle, avec une voix toujours puissante, mais au métal quelque peu altéré par quatre décennies d’une carrière qui l’a conduit dans à peu près tous les répertoires imaginables, joue avec succès d’une sensibilité et d’une verve (elle endosse avec humour, le temps de quelques répliques, le rôle de Madame de Saint Marceaux elle-même) restées intactes. Lui, surtout, rappelle à chaque seconde le magnifique artiste qu’il est : la voix (que nous avouons n’avoir pas beaucoup eu l’occasion d’entendre ces derniers temps) semble avoir gagné de la rondeur et de l’assise dans le grave sans avoir rien perdu de la clarté juvénile qui, à l’origine, en faisait tout le prix. La ligne de chant, impeccablement maîtrisée, est de celles qui donnent à l’auditeur une confondante impression de facilité –qualité rare des plus grands, et qui fait merveille chez Fauré. Le diseur, surtout, se fait véritablement poète, le temps d’un « Rêve » debussyste ou d’un « Martin-pêcheur »ravélien hors du temps.
Au final, ce sont surtout ces plaisirs musicaux que l’on retient, mais l’on se prend aussi d’intérêt pour le personnage de Marguerite de Saint Marceaux, et pour l’influence que ses salons auront eu sur la vie artistique parisienne. Et l’on se précipite voracement sur son Journal, édité par Myriam Chimènes chez Fayard.