A quoi tient l’insatisfaction que l’on ressent à l’issue de cette représentation nancéenne de Macbeth ? En de pareils cas, il est d’usage d’incriminer la mise en scène. Et il est vrai que la première confrontation entre Verdi et Shakespeare ne semble pas avoir inspiré outre-mesure Jean-Louis Martinoty. Dans un décor intemporel formé de colonnes pivotantes – parfois miroirs, parfois cariatides – qui délimitent l’espace, le couple Macbeth et ses sbires poignardent, étranglent et assassinent, sans qu’aucune de leurs exactions ne nous soit épargnée. Cachées derrière ces colonnes, quand elles n’occupent pas le devant de la scène, les sorcières, nonnes côté face, squelettes côté pile, tirent les fils d’une intrigue dont les protagonistes deviennent les marionnettes. L’esthétisme de l’ensemble sera laissé à l’appréciation de chacun ; la lecture basique du livret n’offre ni bonne, ni mauvaise surprise ; l’impression de ballet mal réglé, avec des chanteurs comme livrés à eux-mêmes, est plus embarrassante. Oui mais voilà, à Bordeaux la saison dernière, cette même mise en scène, sans nous emballer davantage, n’avait pas suscité la même contrariété.
Faut-il alors, pour expliquer la frustration mettre en cause l’interprétation musicale ? Roberto Rizzi Brignoli dans cette même œuvre à Lille en 2011 nous avait enthousiasmé. Sans s’imposer avec autant d’évidence, pour autant que notre mémoire soit fidèle, sa direction continue d’insuffler à la partition cette éloquence qui, nonobstant une écriture d’inspiration irrégulière, aide à comprendre pourquoi Macbeth est un authentique chef d’œuvre. La fosse profondément enfouie sous la scène donne aux cuivres une sonorité diffuse qui ajoute au mystère. Les contrastes sont habilement ménagés sans abus d’éclats afin de préserver la linéarité du propos, comme si le chef voulait estomper les écarts d’inspiration que nous relevions plus haut. L’Orchestre Symphonique et lyrique de Nancy semble particulièrement se satisfaire de cette direction attentive, à la gestuelle imagée. Pour preuve, les musiciens applaudissent le maestro à l’issue de la représentation. Les chœurs ne sont jamais meilleurs que lorsqu’ils sont réunis le temps d’un « patria oppressa » qui donne à percevoir la cruauté de la tragédie. Sicaires et sorcières, pris séparément, n’atteignent pas la même puissance d’évocation.
Les interprètes ? Dans cette opéra de sang et de larmes, ils ne sont en fait que deux : Macbeth et sa Lady. Macduff et Banquo n’ont qu’un seul air pour convaincre, ou presque (le deuxième a aussi un duo au premier acte). Brian Kontes qui a fait ses débuts au Metropolitan Opera durant la saison 2009-2010, est une jeune basse prometteuse, qui ne semble pas encore tout à fait réaliser que sa voix l’autorise désormais à occuper le premier plan. Une timidité, inhérente à sa jeunesse, engourdit son chant et amoindrit la noblesse du « Come dal ciel precipita ». Il faut dire que faire déguerpir son fils avant l’arrivée des tueurs chargés de l’occire n’aide pas le « Ohimé ! Fuggi, mio figlio » à impressionner. Avec autant de potentiel, Giuseppe Talamo retient davantage l’attention mais on aimerait que « la paterna mano », qui est un des airs de ténor les plus poignants composés par Verdi, étreigne davantage. Le timbre, la ligne mais, aussi impératif, la capacité d’émotion.
Comme à Bordeaux, le choix du finale de 1847 offre à Macbeth un arioso supplémentaire dans lequel Giovanni Meoni atteint enfin la dimension de son personnage. Le roi d’Ecosse devient digne de sa couronne à l’instant précis où elle glisse de sa tête. Volontaire ou non, ce parti-pris ne devrait pas interdire à notre anti-héros d’habiter davantage son chant. Les hallucinations, la peur, la colère, la cruauté et même la résignation désespérée et si pathétique du « pietà, rispetto, onore » semblent toutes coulées dans le même moule, celui d’un baryton plutôt clair, dont les sonorités les plus flatteuses occupent le médium. Des fulgurances laissent à plusieurs occasions cependant envisager d’autres possibilités.
De la même façon, sa Lady, Jennifer Check, ne touche à la dimension monstrueuse de son rôle que par intermittence. Son soprano, suffisamment long pour embrasser toute la tessiture, y compris le fameux contre-ré bémol dont certains font la note clé de sa partition, ne possède pas un pouvoir de séduction naturel. Mais n’a-t-on pas assez répété, déclaration de Verdi à l’appui, qu’il fallait à Lady Macbeth une voix laide, sans savoir d’ailleurs quelle signification précise donner à l’adjectif. La question est plutôt de comprendre pourquoi « la luce langue » ou la scène du somnambulisme révèlent un authentique tempérament que d’autres instants viennent contredire. Question à laquelle l’absence de réponse participe assurément à ce sentiment plus global d’insatisfaction qui persiste une fois le rideau tombé.