En congruence avec l’exposition du moment – « Duels. L’art du combat » jusqu’au 18 août 2024 –, le Musée de l’Armée propose une série de concerts sur le thème du duel. A la bonne heure ! Avec son large éventail de situations conflictuelles, le répertoire lyrique offre l’embarras du choix, comme en témoigne ce récital dans le Grand Salon des Invalides où le duel est d’abord prétexte à duos entre soprano, ténor ou baryton. Deux garçons, une fille : trois possibilités, et un pianiste pour arbitrer le combat : Tristan Raës, avec la précision et la fougue romantique qui restent siennes, y compris dans un programme où le piano figure au second plan.
Du trio de chanteurs, se détache d’abord Jérôme Boutillier, maitre de cérémonie chargé de replacer dans leur contexte – avec brio et humour – chacun des opéras cités, et baryton sur la pente ascendante, d’une santé éclatante en dépit d’un agenda qui lui ménage peu de repos – il était Ben-Saïd dans Le Tribut de Zamora à Saint-Etienne il y a peu ; il enchaine dans quelques jours avec Pénélope de Fauré à Athènes. Rien ne semble mettre en péril un chant généreux, expressif, naturel d’un extrême à l’autre de la portée, projeté d’une voix timbrée, ni trop sombre, ni trop claire, idéal dans le répertoire français, qu’il s’agisse de Zurga déchiré par la jalousie, de Valentin remettant sa sœur entre les mains de Dieu, ou de Rodrigue dont la grande scène, ô combien exigeante, est phrasée avec noblesse, toujours intelligible, toujours liée, sans que la beauté du son s’exerce au détriment de la déclamation. Cet effort de diction marque chacune de ses interventions – exception faite d’Onéguine, faute d’être russophone pour en juger. Non moins admirable est l’effort de caractérisation, d’une sobriété à laquelle le baryton ne nous a pas toujours habitué, comme si l’épanouissement vocal l‘affranchissait de toute démonstration superflue. Escamillo n’est jamais aussi convainquant qu’expurgé de certains effets de muleta.
A ses côtés, Valentin Thill est un partenaire dont le timbre de ténor lyrique, d’une mâle intégrité sur l’étendue de la tessiture, s’apparie sans discordance à celui de Jérôme Boutillier. Certains emplois, prématurés, mettent la voix sous tension. Don Carlos peut attendre, Don José aussi, même s’ils parviennent à faire illusion le temps d’un numéro. Comme à la Sainte Chapelle le mois dernier, les registres habilement mixés garantissent une romance de Nadir en apesanteur. Là comme ensuite, le ténor semble avoir gagné en liberté, en souplesse et en couleurs, avec un recours bienvenu à la demi-teinte, indispensable tant au chant français qu’aux adieux de Lenski. Comme Jérôme Boutillier, la prononciation est exemplaire – pas un mot n’échappe à la compréhension – et le comédien, toujours investi, toujours juste sur son petit carré d’estrade, n’a rien à envier au chanteur. Entrevu le temps de « Un di felice » – le duo du premier acte de La traviata –, Alfredo, fier de ligne et touchant de sincérité, ouvre une fenêtre sur un autre versant de répertoire dans lequel Valentin Thill pourrait également trouver matière à développer son jeune talent.
Armelle Khourdoïan s’avère plus longue à entrer dans le jeu. Leïla mâchonne son texte avant que Micaëla ne la présente sous un jour plus avantageux, plus intelligible, plus affirmé. Les traits dardés de « Je dis que rien ne m’épouvante » dévoilent un tempérament que Violetta révèlera. C’est en effet dans la scène finale du premier acte de La traviata que s’accomplit la soprano, atteignant à l’égal de ses partenaires un niveau d’engagement et de justesse scéniques que confirme ensuite l’air des bijoux, brillant comme il convient. Le contre-mi bémol du « Sempre libera » bien que justifié par l’ébriété fiévreuse avec laquelle la chanteuse prend d’assaut la cabalette aurait été dispensable. L’aigu ne souffre sinon d’aucune imprécision et l’agilité surmonte les coloratures dont l’air est parsemé.
Un bémol pour tempérer l’enthousiasme du public, légitime à l’issue d’un programme d’une générosité à faire passer certains récitals lyriques pour de piètres succédanés : l’excès de puissance qui, combiné à l’acoustique de la salle, tend à saturer de décibels les duos et transforme le trio de Faust en épreuve auditive.
Prochains duels lyriques : deux ténors, Emilano Gonzalez Toro et Zachary Wilder, le 30 mai, puis Diva contre diva le 6 juin – Claire Lefilliâtre et Marie Perbost ravivent le crépage de chignons entre La Cuzzoni et La Bordoni.