Giacomo Puccini (1858-1924)
Madama Butterfly
Tragédie japonaise en trois actes
Livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica d’après la pièce de David Belasco
Créé à la Scala de Milan le 17 février 1904
Mise en scène, Mark Lamos
Décors, Michael Yeargan
Costumes, Constance Hoffman
Lumières, Robert Wierzel
Pinkerton, Konstantin Stepanov
Goro, Matthew Surapine
Suzuki, Krysty Swann
Sharpless, Nicholas Pallesen
Cio-Cio-San, Yunah Lee
Yamadori, Daesan No
Kate Pinkerton, Jessica Klein
New York City Opera Orchestra
Direction musicale, George Manahan
New York City Opera, Dimanche 18 avril 2010
D’une vérité bouleversante
Situé au Lincoln Center, à deux pas du Metropolitan Opera, le New York City Opera se démarque de son prestigieux confrère par une programmation audacieuse répartie sur deux périodes : le printemps et l’automne. Ainsi, en 2010, ont déjà été proposées L’Etoile d’Emmanuel Chabrier et Partenope de Georg Friedrich Haendel en attendant, à la fin de l’année, A Quiet Place de Léonard Bernstein et Intermezzo de Richard Strauss ; des œuvres qui ont peu de chance d’être représentées un jour sur la scène du Met. Exception à la règle : Madama Butterfly qui referme la saison 2009-2010. Afficher un opéra du répertoire, présenté régulièrement par l’institution voisine avec les plus grandes voix du moment, s’avère une autre forme d’audace. De celle que la fortune apprécie si l’on en croit le prix décerné à cette production par le National Endowment for the Arts et si l’on en juge par la représentation, la dernière de la série, à laquelle nous avons assisté.
Madama Butterfly, comme la plupart des opéras de Puccini, est une œuvre qui se prête peu à la transposition. La plupart des mises en scène aujourd’hui utilise l’élément japonisant comme prétexte à dépouillement. Seuls quelques paravents relèvent un plateau nu ; l’économie de geste fait loi. Ce sont les lumières qui se chargent d’animer le décor. Le travail de Mark Lamos s’inscrit dans cette esthétique jusqu’à un certain point. Un grand escalier au centre de la scène et un rideau de papier opaque délimitent l’espace ; l’éclairage varie selon les ambiances. L’originalité de sa mise en scène réside dans le soin porté au jeu d’acteurs qui, au contraire d’un certain usage, refuse toute sobriété en s’attachant à traduire précisément les caractères des personnages selon leur culture, dans leurs élans, leurs peurs, leur colère, leur révolte, leur désespoir et leurs turpitudes. Une démonstration d’humanité qui, amplifiée par la musique de Puccini, rend le drame prégnant, à la limite du supportable.
Cet afflux d’émotions, on le doit aussi à la Cio-Cio-San de Yunah Lee. La soprano, d’origine coréenne, a fait ses premiers pas au New York City Opera en 1995 dans Kinkakuji de Toshiro Mayuzumi avant de chanter sur cette même scène Micaëla, Mimi, etc. Il ne s’agit donc pas d’une de ces débutantes que le New York City Opera depuis sa création (1943) s’applique à révéler (parmi elles, citons Catherine Malfitano, Tatiana Troyanos et bien évidemment Beverly Sills1). Est-ce alors l’expérience ou plutôt la rencontre rare entre une interprète, une mise en scène et un rôle ? Yunah Lee fait mieux que de se plier aux indications de Mark Lamos, elle les intègre à son interprétation pour composer un personnage d’une vérité bouleversante. Plus que d’interprétation d’ailleurs, il faudrait parler d’incarnation. La voix, sans être immense, se projette aisément. Fragile, elle surprend par la puissance de certains effets et par des couleurs qu’au départ on n’imaginait pas. L’acte II surtout est confondant tant le chant, comme libéré de toutes contraintes, déborde d’intentions, tant chaque inflexion saisit précisément le sentiment que les mots expriment. Seul un vibrato parfois trop prononcé trahit la tension que l’écriture impose à la ligne (« spira sul mare e sulla », l’air d’entrée chanté en coulisse se révèle à cet égard impitoyable).
Dommage qu’une Butterfly de cette envergure ne dispose pas d’un Pinkerton à sa mesure. Konstantin Stepanov, dépassé par l’ampleur du rôle, donne rapidement des signes de fatigue. L’émission est engorgée et la voix a souvent du mal à passer la rampe. La Suzuki puissamment charpentée de Krysty Swann se montre plus en adéquation avec le soprano délicat de Yumah Lee. La complémentarité de leurs timbres produit un duo des fleurs fastueux dont la poésie est encore accentuée par une pluie de pétales de roses qui tombe des cintres. A côté de l’élégant Sharpless de Nicholas Pallesen, on note la présence vocale et scénique de Matthew Surapine, Goro à la veulerie jouissive qui, lui aussi, se réalise tout particulièrement à travers les partis-pris de la mise en scène.
La direction précipitée de George Manahan donne à l’ouvrage des accents auxquels nous ne sommes pas forcément habitué. Ainsi, l’interlude du III évoque-t-il curieusement Gershwin autant que Puccini. D’une manière générale, la modification des rapports entre cordes moins fournies que de coutume, cuivres et percussions tire la partition vers l’avant, accentuant les audaces du XXe siècle davantage que le romantisme flamboyant du XIXe. Sans posséder la luxuriance des grands ensembles symphoniques, l’Orchestre du New York City Opera, d’une précision irréprochable, ne démérite pas.
Christophe Rizoud
1 Parmi les artistes masculins qui ont chanté à leurs débuts sur la scène du New York City Opera, on note les noms de Placido Domingo, José Carreras, David Daniels, Sherill Milnes, Samuel Ramey et bien d’autres encore