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DUVAL, Les Génies – Versailles

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Spectacle
20 mars 2023
Duval a du génie

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Les Génies ou Les Caractères de l’Amour, opéra-ballet en un prologue et quatre actes
Musique de Mademoiselle Duval sur un livret de Jacques Fleury
Création à l’Académie royale de musique à Paris en 1736

Détails

Lucile, Zaïre, Isménide
Marie Perbost

Amour, Zamide
Florie Valiquette

La Principale Nymphe, Pircaride
Anna Reinhold

Léandre
Étienne de Bénazé

Un Indien
Paco Garcia

Zoroastre, Numapire
Guilhem Worms

Zerbin, Adolphe
Matthieu Walendzik

L’Africaine, une Nymphe
Cécile Achille

Chœur de l’Opéra Royal
Ensemble Il Caravaggio
Direction et clavecin
Camille Delaforge

Salle des Croisades du Château de Versailles
Mardi 7 mars 2023, 20h

 

Si Céphale et Procris d’Elisabeth Jacquet de la Guerre, donné à Versailles il y a quelques semaines, est le premier ouvrage lyrique composé par une femme à avoir eu les honneurs de la scène de l’Académie royale de musique en 1694, il faut attendre 1736 et Les Génies de Mademoiselle Duval pour qu’une deuxième femme puisse à son tour y présenter le fruit de son travail. De Mademoiselle Duval, on ne sait quasiment rien, pas même son prénom. Fille d’une danseuse française et d’un archevêque italien, elle ne composa qu’un opéra, Les Génies, exécuté à l’Académie royale de musique alors qu’elle avait vingt-deux ans. Elle consacra le reste de sa carrière au chant. On peut regretter amèrement qu’elle n’ait pu (ou voulu) se lancer dans une carrière de compositrice, car Les Génies est d’une très belle facture et témoigne de son génie musical.

Les Génies est un opéra-ballet, soit une succession de quatre actes ou « entrées » faisant suis à un prologue, qui développent des intrigues indépendantes les unes des autres, mais qui sont cependant reliées par une cohérence thématique. Le livret de Jacques Fleury a pour sous-titre Les Caractères de l’Amour, mais il se présente avant tout comme une déclinaison des quatre éléments : chaque entrée est consacrée à une forme de génie élémentaire : à l’eau correspond Les Nymphes, à la terre Les Gnomes, au feu Les Salamandres et à l’air Les Sylphes. La présence de ces créatures fantastiques est assez étonnante pour un ouvrage de cette époque, mais les gnomes se présentant sous la forme de « divers peuples orientaux » et les salamandres de « divers peuples d’Afrique », on rejoint surtout le goût de l’époque pour l’exotisme, dont Les Indes galantes de Rameau, créé l’année précédente, est l’exemple le plus célèbre. Chacune des entrées permet au librettiste de développer différentes situations amoureuses mettant en scène des personnages schématiques mais d’une grande intensité, traversés tour à tour par le désir, la jalousie, le dépit, le bonheur, la colère ou la tristesse, avec des ressorts théâtraux stéréotypés mais efficaces : travestissement, descente de divinités, apparitions ou destructions de palais, magicienne sur son char…

Contemporaine des premiers opéras de Rameau, la facture musicale des Génies se tourne plutôt vers le style d’un Campra, qui conserve des tournures lullistes, très classiques, mais imprégnées d’influences italiennes, notamment perceptible dans la grande virtuosité de certains passages qui demandent plus des interprètes de belcanto que des déclamateurs. L’ensemble de l’ouvrage est très énergique, avec des airs de danse particulièrement entrainants, comme l’Air pour les Génies du prologue ou les Tambourins de la première entrée, d’une vigueur presque bachique (et repris en bis à la fin de la soirée !). Les cordes graves sont très sollicitées, apportant densité et agitation à plus d’une scène. Quelques singularités rythmiques et harmoniques (notamment dans le récit du songe de Zaïre dans la deuxième entrée) donnent une saveur étonnante à l’ensemble. La troisième entrée est probablement la plus réussie, avec des airs de lamentation et de fureur très marquants, notamment l’entrée d’Isménide, la descente de Pircaride sur son char, la scène de Pircaride seule « Elle part, et mon cœur… » ou bien encore la scène de fureur de Numapire accompagné par l’orchestre « Servez/servons les transports de ma rage ». 

La plupart des témoignages que nous conservons de la première des Génies relève la présence de Mademoiselle Duval elle-même au clavecin dans la fosse. Pour cette authentique résurrection de l’œuvre, qui n’avait pas été donnée depuis le XVIIIe siècle, c’est à une femme que revient la direction d’orchestre, Camille Delaforge, qui assure également la partie de clavecin du continuo, comme la compositrice lors de la création. L’énergie qu’elle déploie pour faire avancer l’action, infuser des couleurs variées dans le tissu instrumental, apporter du relief à l’accompagnement des récitatifs est absolument remarquable et fait oublier les quelques imprécisions d’intonation ou d’exécution de son ensemble Il Caravaggio, qui révèle tout de même une palette chromatique variée et une vigueur aussi enthousiaste qu’enthousiasmante. 

L’enthousiasme et la vigueur sont des qualités que l’on retrouve dans la distribution vocale. Marie Perbost apporte sa fraîcheur de timbre et sa sensibilité dramatique aux rôles de Lucile, Zaïre et Isménide, les personnages féminins principaux de chaque entrée. Loin d’une interprétation unilatérale de ces personnages de « jeune première » amoureuses, elle instille densité et frémissement à la douceur galante qu’ils exigent. Les « rôles à baguette », soit les rôles de magiciennes furieuses à la Médée ou Armide, reviennent à Anna Reinhold, aussi mémorable en Principale Nymphe qu’en Pircaride. Le timbre velouté et le caractère incisif et expressif de la ligne émerveillent. Florie Valiquette peine d’abord un peu à se faire entendre en Amour, rôle qui exige dès son entrée une extrême virtuosité alors que tout l’orchestre joue forte. Elle retrouve ensuite toutes ses qualités d’interprète*, un timbre savoureux allié à une éloquence pleine de relief, et ne fait qu’une bouchée des ornements du reste du rôle d’Amour et de la partie de Zamide.

En Zoroastre et en Numapire, Guilhem Worms impressionne : la voix est puissante et bien timbrée, lui permettant d’imposer son autorité dans ces deux rôles, notamment lors de la fureur de Numapire, d’une virtuosité redoutable, assurée de manière vraiment saisissante. On entend que Matthieu Walendzik est plus à l’aise dans la tessiture basse d’Adolphe que celle plus haute de Zerbin : il chante ce dernier rôle trop fort et sans nuances expressives, alors même que son Adolphe est de belle tenue, soigné et varié. Malgré quelques bizarreries dans l’émission de certaines voyelles, Étienne de Bénazé est quant à lui un Léandre racé et musical. Enfin, bien qu’il n’apparaisse que dans un rôle très bref, Paco Garcia tire son épingle du jeu, grâce à son timbre de haute-contre équilibré et plein de charme, ainsi qu’en accordant une saveur particulière au texte.

Les parties chorales de l’œuvres sont particulièrement réussies et les membres du Chœur de l’Opéra Royal s’en saisissent avec rigueur, clarté et générosité. Cécile Achille, s’extrayant du chœur à deux reprises pour incarner deux petits rôles, témoigne individuellement de la musicalité de l’ensemble. On admire chez elle le fruité du timbre, la précision du français et un chant toujours sensible et juste : espérons qu’elle puisse bientôt briller dans un premier rôle !

Seul bémol : la quatrième entrée n’est pas exécutée, alors même que le nom des personnages des Sylphes apparaissent devant les noms des chanteurs sur la feuille de salle. C’est peut-être un mal pour un bien, car la durée du concert était déjà bien supérieure à ce qui était annoncée et, quoi que l’acoustique du lieu soit excellente, la Salle des Croisades n’est pas nécessairement l’endroit rêvé pour assister à un long concert, pour des questions de confort et de visibilité. Espérons que l’enregistrement à paraître sous le label Château de Versailles Spectacles intègre cette quatrième entrée, pour joindre au plaisir de la réécoute d’une œuvre méritant amplement d’être plusieurs fois redonnée, celui de la découverte !

* exaltés dans le récent enregistrement de Scylla et Glaucus de Leclair, publié sous le label Château de Versailles Spectacles, où elle est une Circé d’anthologie

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Création à l’Académie royale de musique à Paris en 1736

Détails

Lucile, Zaïre, Isménide
Marie Perbost

Amour, Zamide
Florie Valiquette

La Principale Nymphe, Pircaride
Anna Reinhold

Léandre
Étienne de Bénazé

Un Indien
Paco Garcia

Zoroastre, Numapire
Guilhem Worms

Zerbin, Adolphe
Matthieu Walendzik

L’Africaine, une Nymphe
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Ensemble Il Caravaggio
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