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DUVERNOY, La Tempête – Paris (Temple du Luxembourg)

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Spectacle
4 juillet 2024
Passionnante redécouverte

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Poème symphonique d’Alphonse Duvernoy (1820-1906), livret d’Armand Sylvestre d’après William Shakespeare, créé au Théâtre du Chatelet en 1880 – Grand Prix de la Ville de Paris

Détails

Prospero
Jacques-François Loiseleur des Longchamps

Miranda
Erminie Blondel

Ferdinand
Enguerrand de Hys

Caliban
Olivier Déjean

Ariel
Aurélie Ligerot

 

Chœur Fiat Cantus

Chef de chœur
Thomas Tacquet

Piano et chef de chant
Romain Vaille

 

Paris, Temple du Luxembourg, le 26 juin 2024, 20h

Né à Paris le 30 août 1842 et mort dans cette même ville le 6 mars 1907, Victor Alphonse Duvernoy fut un pianiste virtuose renommé, professeur au Conservatoire, ainsi qu’un compositeur estimé dont les œuvres ne sont pas passées à la postérité. Duvernoy baignait dans la musique : petit-fils de Charles Duvernoy et petit-neveu de Frédéric Duvernoy, musiciens et compositeurs des XVIII et XIXe siècles, fils du baryton-basse Charles-François Duvernoy, frère du baryton et pianiste Edmond Duvernoy, il avait épousé Marianne Viardot, fille de la cantatrice et compositrice Pauline Viardot, elle-même sœur de la Malibran. Compositeur peu prolixe, il est néanmoins trois fois lauréat du prix Chartier de l’Académie des Beaux-Arts, un prix créé en 1859 et décerné par l’Institut jusqu’en 1942 pour récompenser la musique de chambre. Il compose bien entendu pour le piano, écrit quelques mélodies, de la musique symphonique, un ballet, Bacchus (1902) ainsi que deux opéras : Sardanapale (1882) puis Hellé (1896). Il compose également deux poèmes symphoniques : La Tempête (1880) et Cléopâtre (1885, scène lyrique pour soprano, chœur et orchestre). Il était également critique musical. La Tempête est créée le 24 novembre 1880 au Théâtre du Châtelet, sous la direction d’Édouard Colonne. L’œuvre est couronnée du Grand Prix de la Ville de Paris (devant le poème symphonique d’Augusta Holmes, Les Argonautes).

Enguerrand de Hys, Erminie Blondel et Jacques-François Loiseleur des Longchamps

Oeuvre ambitieuse, La Tempête repose sur 6 solistes, des chœurs et un grand orchestre symphonique. Le livret dramatiquement très épuré fait fi des détails de la pièce de Shakespeare pour se concentrer sur quelques scènes : les 18 rôles de la pièce sont ramenés à 5. Le magicien Prospéro, ancien duc de Milan, a été renversé 12 ans plus tôt par son frère Antonio, aidé du roi de Naples, Alonso. Prospéro et sa fille de quinze ans Miranda sont exilés sur une île peuplée d’êtres surnaturels dont Ariel (un esprit aérien au service de Prospéro) et Caliban (fils d’une sorcière et demi-monstre de fort méchant tempérament, il était la seule créature humaine de l’île avant l’arrivée de Prospéro qui le traite en esclave après qu’il a essayé de violer Miranda). Après une belle ouverture, la première scène nous fait assister au réveil de Caliban par Prospéro. Celui-ci rappelle à Caliban qu’il l’a sauvé après avoir tué sa mère (dans la pièce originale, sa mère, la sorcière Sycorax, est morte après l’accouchement et avant l’arrivée de Prospéro, ce qui est plus conforme à la logique : Caliban aurait ici 12 ans au maximum !). Dans un air impressionnant, Caliban maudit Prospéro et menace de lui ravir sa fille : « De petits Caliban je veux peupler mon île ! ». Prospéro chasse le monstre à l’arrivée de Miranda. Père et fille évoquent leur passé avant l’exil, avant que Miranda ne s’endorme (un passage symphonique décrit son sommeil). Le destin a poussé le bateau des ennemis de Prospéro à proximité des côtes de l’île. Il convoque Ariel (rôle travesti) qui rappelle dans un air qu’il est à sa complète disposition. Prospéro lui ordonne de déclencher une tempête pour faire échouer le bateau sur l’île. La première partie s’achève par un chœur à multiples voix (simplifié ici) décrivant les marins pris dans la tempête. Si la musique est impressionnante, elle reste un peu sévère. La seconde partie contraste avec la première avec une inspiration mélodique très différente, plus immédiatement séduisante, un peu dans le style de Gounod, voire de Massenet. Ariel attire à lui Ferdinand, le fils du roi de Naples (introduction et chœur des esprits). Prospéro réveille Miranda et la fait rencontrer Ferdinand : les deux jeunes gens tombent immédiatement amoureux l’un de l’autre dans un superbe et spectaculaire long duo (nous sommes déjà à l’acte IV de la pièce de Shakespeare !). Prospéro met fin à la scène (trio). Miranda chante son amour dans une splendide romance mais Prospéro est intraitable et veut se venger de ses ennemis en jetant Ferdinand dans un cachot. Ferdinand pense venir facilement à bout de son potentiel futur beau-père, mais la magie de Prospéro le désarme. Mais tout ça c’est du cinoche : Prospéro s’est sciemment opposé à l’amour des deux jeunes gens non parce qu’il le condamne mais parce qu’ « un amour trop heureux est fragile et sans charmes : il n’est point de bonheur qu’il ne faille acheter ! ». Caliban entre, portant une charge de bois. Dans un récit à demi comique, il maudit à nouveau son maître mais craint d’être entendu : « Bientôt pour me venger de son affront, les noirs esprits, que je redoute, m’attraperont, me saisiront, me presseront, m’étoufferont, me piqueront, me pinceront ! ». La scène enchaine avec une chanson à boire du chœur des matelots que Caliban prend pour des esprits venus le tourmenter. Ils se moquent de sa laideur et force « le beau mignon » à boire. Caliban est au faîte du bonheur et entonne lui aussi des couplets bachiques et boit à la liberté. Il appelle les matelots, qui désormais le trouvent bien sympathique, à le venger de Prospéro tout en épargnant sa fille. Les marins acceptent : « à toi sa fille, à nous son or ! ». Prospéro fait appel à Ariel et les esprits mettent en déroute Caliban et ses nouveaux amis (scène de chasse coupée réunissant Ariel, Caliban, Prospéro, le chœur des esprits et celui des matelots). Troisième partie : se faisant reconnaitre auprès du roi qui croit son fils mort, Prospéro lui pardonne en lui promettant de faire revivre son enfant. Ariel appelle les esprits (l’Évocation est suivie d’une Danse des nymphes, d’une Danse des sylvains et d’une Danse des sylphes, coupées pour se concert). Une grotte s’entrouvre : Ferdinand est aux pieds de Miranda pour un nouveau duo où ils se jurent un amour éternel. Ils sont rejoints par Prospéro, Ariel pour un impressionnant final. Prospéro accorde leur liberté aux esprits en récompense de leur fidélité. Dans cette dernière partie, ce sont les grands ensembles qui impressionnent le plus. Comme on le voit, si le livret simplifie énormément la pièce de Shakespeare, il reste dramatiquement cohérent, davantage même que La Damnation de Faust, et pourrait parfaitement être mis en scène comme un authentique opéra.

Olivier Déjean

Pianiste devenu compositeur, élève modèle du Conservatoire, Alphonse Duvernoy connait son métier. En dépit d’une totale inexpérience dans la composition d’ouvrages d’une telle dimension, Duvernoy compose notamment ici des ensembles puissants qui constituent les pages les plus impressionnantes de l’ouvrage. Le traitement des solistes pâtit d’un léger manque d’homogénéité de style (mais on peut faire le même constat pour La Damnation de Faust) : c’est sans doute pourquoi le terme de poème symphonique semble plus approprié, en dépit des qualités dramatiques réelles de l’ouvrage. Si certaines parties vocales sont un brin conventionnelles, la plupart témoignent d’une réelle originalité, dans les limites toutefois d’une composition qui s’inscrit dans une tradition en constante évolution (à l’inverse de Wagner, Duvernoy ne cherche pas ià révolutionner l’histoire de la musique). 

Aurélie Ligerot

A sa création, l’œuvre rencontre un vif succès. Elle est interprétée par quelques uns des plus grands chanteurs de l’époque, l’orchestre étant placé sous la prestigieuse direction d’Édouard Colonne. Le rôle de Prospéro est défendu par Jean-Baptiste Faure, considéré à l’époque comme l’un des plus grands chanteurs du siècle. Il a insisté pour que l’œuvre soit donnée intégralement et non sous forme d’extraits. Sa voix, d’une amplitude exceptionnelle, lui permettait d’embrasser des rôles de basses chantantes comme de ténors. Sa longévité lui a permis de connaitre les honneurs du phonographe passé 70 ans. Alexandre Duvernoy exploite toutes les possibilité de cette voix avec un ambitus qui s’étend du do grave au sol aigu. Miranda (ré grave / contre-ut) était interprétée par Gabrielle Krauss. Après l’avoir entendue, Rossini lui déclara : « Vous chantez avec votre âme, ma fille, et votre âme est belle ». Ténor aigu, quoique versatile, Edmond Vergnet était Ferdinand (ré dièse / si bécarre). Caliban (fa grave / mi bémol) était confié à Pedro Gailhard, célèbre basse chantante, futur directeur de l’Opéra de Paris (à ce titre, il est mentionné dans Le Fantôme de l’Opéra) et du Conservatoire de New York. Enfin, Ariel était chanté par Adèle Franck-Duvernoy (née Franck-Cahn, épouse du baryton Edmond Duvernoy, frère du compositeur) : aux côtés de son époux, elle chanta les quatre rôles féminins des Contes d’Hoffmann à l’occasion d’une représentation privée chez Offenbach. Au-delà d’un orchestre et de chœurs imposants, l’ouvrage exige donc des interprètes de premier plan.

Aurélie Ligerot et Jacques-François Loiseleur des Longchamps

Il faut donc saluer le courage, voire la témérité, de La Compagnie de l’Oiseleur pour s’être lancé dans un projet ambitieux et avoir réussi à le mener à bon port. Rappelons que cette compagnie ne dispose d’aucune subvention et qu’elle ne vit que des recettes des concerts et du soutien de quelques mécènes (précisons que l’entrée est libre et que les spectateurs ne sont pas obligés de contribuer). On saluera tout autant des artistes qui ont accepté d’interpréter pour cette unique soirée une partition complexe tout en se contentant d’un cachet symbolique. Jacques-François Loiseleur des Longchamps défend avec brio le rôle complexe et particulièrement tendu de Prospéro. Il y fait preuve d’un art parfait de la déclamation, associé à une diction remarquable et sait à merveille rendre la variété de sentiments attachés au personnage. Olivier Dejean impressionne en Caliban avec une authentique voix de basse aux graves profonds et un beau sens dramatique. Erminie Blondel offre une voix au timbre fruité, ample et puissante, homogène sur toute la tessiture qu’elle couronne d’un contre-ré non écrit. Elle défend son personnage avec une vibrante émotion. On a plutôt l’habitude d’entendre Enguerrand de Hys dans le répertoire du XVIIIe et du début du XIXe : il participait d’ailleurs ces dernières semaines aux représentations d’Atys. Tout à fait à l’aise dans ce répertoire, il campe un Ferdinand plein d’ardeur, au timbre brillant et à la voix bien projetée et toujours pleinement compréhensible. L’interprétation est délicate. Aurélie Ligerot est un Ariel absolument délicieux qui brule les planches de cette version concertante. Ses aigus sont aisés et d’une belle rondeur (avec là aussi l’ajout d’un contre-ré) et la diction est impeccable. De dimension réduite, le chœur Fiat Cantus ne peut donner qu’une esquisse des volontés de Duvernoy, mais son implication et son enthousiasme, sous la direction attentive de Thomas Tacquet, force le respect. Pianiste et chef de chant, Romain Vaille fait des merveilles pour compenser l’absence d’un orchestre en imprimant une authentique urgence dramatique, maintenant la cohésion de l’ensemble tout au long du concert, comme infatigable ! On ne peut que regretter qu’une telle résurrection n’ait pas été accueillie par une grande salle parisienne (ce ne sont pas les soirs de relâche qui manquent) ce qui lui aurait apporté la visibilité qu’elle mérite.

La Compagnie de l’Oiseleur nous donne déjà rendez-vous le 9 octobre prochain pour une autre curiosité musicale, La Conjuration des Fleurs (1883) de Louis-Albert Bourgault-Ducoudray (1840-1910), prix de Rome en 1862. Dans cette cantate satyrique (dédiée à la Société nantaise d’Horticulture !), les Fleurs se révoltent car « il n’est plus de saisons (…) Délivrons-nous d’un tyran : c’est trop longtemps végéter ! ».  On a hâte.

Romain Vaille, Enguerrand de Hys, Erminie Blondel, Aurélie Ligerot, Olivier Déjean, Thomas Tacquet-Fabre et Jacques-François Loiseleur des Longchamps

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Erminie Blondel

Ferdinand
Enguerrand de Hys

Caliban
Olivier Déjean

Ariel
Aurélie Ligerot

 

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Paris, Temple du Luxembourg, le 26 juin 2024, 20h

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