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DVORAK, Rusalka -Avignon

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Spectacle
16 octobre 2023
Suicide ou meutre à la piscine ?

Note ForumOpera.com

2

Infos sur l’œuvre

Conte lyrique en trois actes
Musique d’Antonin Dvořák
Livret de Jaroslav Kvapil, d’après Friedrich Heinrich Carl de la Motte-Foucqué
Création à Prague, Théâtre national, le 31 mars 1901

Détails

Mise en scène, costumes et scénographie
Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil

Collaboration à la scénographie
Christophe Pitoiset

Lumières
Rick Martin

Vidéo
Pascal Boudet et Thimothée Buisson

Graphisme
Julien Roques

Collaboration artistique
Lodie Kardouss

Dramaturgie
Luc Bourrousse

 

Le Prince
Misha Didyk

La Princesse étrangère
Irina Stopina

Rusalka
Ani Yorentz Sargsyan

L’Esprit du lac
Wojtek Smilek

Jezibaba
Cornelia Oncioiu

Le marmiton
Clémence Poussin

Première nymphe
Mathilde Lemaire

Deuxième nymphe
Marie Kalinine

Troisième nymphe
Marie Karall

Le garde forestier / La voix d’un chasseur
Fabrice Alibert

Chœur et ballet de l’Opéra du Grand-Avignon

Chœur de l’Opéra de Toulon

Orchestre national Avignon-Provence

Direction musicale
Benjamin Pionnier

 

Avignon, Opéra, le 13 octobre 2023, 20h

création, en coproduction avec l’Opéra de Marseille,l’Opéra de Nice et l’Opéra de Toulon

« Le corps d’un homme décédé après avoir été frappé au thorax par un harpon a été retrouvé dans le grand bassin de la piscine d’Avignon. Les témoignages abondent affirmant que la victime y aurait commis un viol avec violences peu de temps auparavant. Une enquête est en cours. »

Ainsi aurait pu commencer la note d’intention des metteurs en scène. Faisant fi de l’essence du conte – intitulé délibérément choisi par le compositeur et son librettiste – ils en réduisent la portée en le confinant dans une piscine, et, accessoirement, « aux berges boueuses d’un étang du Médoc » (sic.), projetées. Pourquoi refuser l’évidence, la féérie, le conte ? L’opposition entre deux mondes, celui de Rusalka, Vodnik et Jezibaba, et celui des humains, leur incommunicabilité, est ainsi gommée au profit d’une histoire incroyable, prosaïque, triviale que les réalisateurs appellent « une invitation à tester le présent ». Le contraste visuel et sonore entre les actes, entre l’univers des profondeurs et le monde des conventions humaines, entre la nature, à laquelle appartient Rusalka et le factice construit par et pour l’homme, ce contraste est évacué. Les didascalies projetées ont été expurgées des notations ancrant l’histoire dans un univers fantastique (ainsi, la confection des philtres par Jezibaba). Les sonneries de la chasse dans le cadre de la piscine où le prince cherche la blanche biche accusent ainsi cruellement les contradictions d’une transposition arbitraire. A la poésie, à la fraîcheur, au mystère, on a préféré l’hyperréalisme teinté d’une modernité en toc, dont les références sont vaines. La scène du viol de Rusalka s’imposait-elle, à moins que #Metoo soit passé par là, avec la dénonciation des perversions du milieu de la natation ? La narration n’y gagne rien. Nous touchons le fond. Prosaïsme, vacuité de la démarche, rejet systématique du contexte du livret et de la musique. Le ballet, en toute logique est confié à l’équipe de natation synchronisée, filmée dans la piscine de la Cité des papes.

La direction d’acteur est quasi inexistante, à moins que les gesticulations nautiques en tiennent lieu. Même la seule scène souriante, où le marmiton couard et le garde forestier vont intercéder auprès de Jezibaba, demeure scéniquement banale, le chant seul véhiculant les oppositions. Difficile d’adhérer à telle ou telle situation, de s’identifier à un personnage tant l’artifice prévaut, déjanté sans humour (le bassin gonflable rouge, la baignoire verte où Rusalka se réfugie), ou hors de propos, cassant le climat attendu (précédé d’une vidéo en gros plan, le Prince en costume, les yeux bandés, le ventre et la queue d’un poisson sortant de sa bouche…).

© DR

L’opéra est le miroir de nos questionnements, de nos joies comme de nos angoisses, de nos fantasmes, mais il est tout autant évasion du quotidien pour le domaine de la magie, de l’ailleurs, du passé comme de l’au-delà, particulièrement avec des ouvrages dont c’est l’essence. Le Lab, Clarac et Deloeuil nous ont habitué à des approches renouvelées des livrets, qui les conduisent à des actualisations le plus souvent intelligentes, fouillées, ambitieuses, voire virtuoses. Entre autres, on se souvient de la trilogie Mozart.Da Ponte à la Monnaie, du Trouvère et de Serse à Rouen. Leur professionnalisme n’est pas en cause. L’habileté à combiner un plateau ingénieusement agencé à des projections sur le voile d’avant-scène, assorties d’autres sur une des parois du décor, de mêler ainsi la vie quotidienne d’une équipe de six jeunes filles pratiquant la natation synchronisée à l’action de l’œuvre de Dvořák est indéniable, même si l’insertion de voix, de bruitages, dérange plus qu’elle explicite. Là où le bât blesse, c’est l’écran opaque imposé à chacun, entre l’action à laquelle invitent le livret et la musique et une traduction dramatique dévoyée, pénible à supporter. Seules les voix et l’orchestre portent l’émotion.

Pour cette Rusalka qui sent l’eau de Javel, une belle distribution a été rassemblée. Nous découvrons Ani Yorentz Sargsyan, chanteuse arménienne dont la carrière se déroule hors de France. C’est une très grande voix, charnue, colorée, égale, dont l’expression ira s’épanouissant au fil de l’action. L’Ode à la lune, évidemment attendue, pêche un peu par un orchestre quelconque, dépourvu de délicatesse. Malgré les postures imposées dans ce cadre singulier, le  chant est habité, à la ligne admirable, l’émotion au rendez-vous. Dommage qu’il faille fermer les yeux pour croire à son ultime duo avec le Prince. Familier de ce répertoire, Misha Didyk incarne ce dernier,  inconstant, jouisseur. S’il n’est plus un jeune premier, la voix demeure crédible, barytonnante, parfois engorgée et couverte (fin du I). Il convainc davantage au dernier acte, même si la séduction reste de surface. Irina Stopina chantait déjà la Princesse étrangère la saison dernière à Metz. La voix est somptueuse, vénéneuse, pour un personnage tout sauf sympathique. Le Vodnik de Wojtek Smilek a l’émission sonore, aux graves assurés, avec un grain traduisant son âge. Il nous bouleverse au dernier acte, père tendre et douloureux. Alors que le personnage interroge, fantastique et complexe, à la fois Ulrica et Minerve, l’étrangeté fabuleuse de Jezibaba est réduite à son expression vocale : elle est agent d’entretien de la piscine. Cornelia Oncioiu vaut pour une voix solide, profonde, chaleureuse, convaincante, d’une large tessiture. Chacune de ses interventions est un bonheur si on en oublie le contexte. Les nymphes infantiles, espiègles, et leurs jeux, mêlés à ceux des nageuses de natation synchronisée, sont peu crédibles, dès leurs taquineries de Vodnik. Et c’est fort regrettable, car les interventions vocales sont admirables, particulièrement au dernier acte. Mathilde Lemaire, Marie Kalinine, Marie Karall, chacune nous ravit avec ses couleurs propres et leur trio, homogène, n’appelle que des éloges. Clémence Poussin campe un marmiton honorable. Fabrice Alibert a chanté le rôle du garde forestier au Capitole et s’investit pleinement dans cet emploi correspondant idéalement à sa voix.

 La partition fait de l’orchestre un acteur essentiel. Elle nous vaut des pages somptueuses comme intimes, chambristes, du meilleur Dvořák. Benjamin Pionnier a beaucoup dirigé dans l‘Est européen et apprécie ce répertoire. Sous sa baguette, l’orchestre national Avignon-Provence fait preuve de belles qualités, tant stylistiques que techniques. Le premier acte n’était pas dépourvu d’imperfections (imprécision, justesse des vents) mais permettait aux bois de belles textures avec des cordes soyeuses, dès avant que Jezibaba confectionne ses philtres. La magie, fluide, transparente, est venue progressivement pour un finale enflammé du II. Les accents, le caractère passionné et dramatique du dernier acte sont traduits avec bonheur par une formation engagée, qui joue alors pleinement le jeu. Les chœurs, dont la participation est réduite, comme l’effectif, sont confiés à ceux d’Avignon et de Toulon, desservis par une mise en scène qui fait ainsi accomplir aux chanteurs des mouvements de natation hors de propos, notamment sur les gradins…

Il y a fort à parier que l’essentiel du public découvrait Rusalka. Méconnaissance, inculture, absence de références ? Les interprètes sont chaleureusement applaudis, s’amorce même une standing ovation. L’apparition des réalisateurs n’en altère pas l’intensité.  On s’interroge sur les raisons de l’adhésion à un tel projet de quatre maisons d’opéra (Avignon, Toulon, Marseille, Nice) qui nous ont habitué à des choix moins discutables (*).

(*) En comparaison, les dernières productions hexagonales de l’ouvrage, signées Nicola Raab (Strasbourg, 2019), Stefano Poda (Toulouse, 2022) et Paul-Emile Fourny (Metz, 2023), apparaissent comme exemplaires, chacune excellant à entrainer le spectateur dans l’univers magique et tragique du conte.

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Musique d’Antonin Dvořák
Livret de Jaroslav Kvapil, d’après Friedrich Heinrich Carl de la Motte-Foucqué
Création à Prague, Théâtre national, le 31 mars 1901

Détails

Mise en scène, costumes et scénographie
Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil

Collaboration à la scénographie
Christophe Pitoiset

Lumières
Rick Martin

Vidéo
Pascal Boudet et Thimothée Buisson

Graphisme
Julien Roques

Collaboration artistique
Lodie Kardouss

Dramaturgie
Luc Bourrousse

 

Le Prince
Misha Didyk

La Princesse étrangère
Irina Stopina

Rusalka
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L’Esprit du lac
Wojtek Smilek

Jezibaba
Cornelia Oncioiu

Le marmiton
Clémence Poussin

Première nymphe
Mathilde Lemaire

Deuxième nymphe
Marie Kalinine

Troisième nymphe
Marie Karall

Le garde forestier / La voix d’un chasseur
Fabrice Alibert

Chœur et ballet de l’Opéra du Grand-Avignon

Chœur de l’Opéra de Toulon

Orchestre national Avignon-Provence

Direction musicale
Benjamin Pionnier

 

Avignon, Opéra, le 13 octobre 2023, 20h

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