En ce début d’année, Rusalka fait son entrée au répertoire à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège dans une version très réussie visuellement qui doit beaucoup au travail d’équipe de Cordelia Chisholm aux décors, Simon Corder aux lumières et Dick Straker à la vidéo. Tous trois composent un univers onirique propre au conte de fée qui évoque avec délicatesse tant les iridescences sous-marines de l’ondine que la munificence du palais du prince. Un immense anneau suspendu en l’air à différentes hauteurs symbolise la frontière entre les univers sous-marins et terrestres. Il se fait également alliance brisée pour Rusalka lorsqu’elle se trouve rejetée par son amant au dernier acte du drame.
Cette harmonie de gris et d’argent est d’une grande élégance et les projections, jamais invasives, toujours raffinées, ajoutent à la poésie de l’ensemble. Dans ce cadre idéal, la soirée manque toutefois d’unité, oscillant entre des moments touchants et des aspects triviaux qui gâchent inutilement l’effet général. Le début du second acte, par exemple, se déroule dans les cuisines du château où Rusalka assiste, impuissante au massacre de toute une pêche destinée au banquet de ses noces : le trait est un peu épais. L’image de la nymphe des eaux, incarnation de la mélancolie en rocking-chair s’avère tout aussi bizarrement incongrue. Les chorégraphies de Gianni Santucci tout en danse des sept voiles gagneraient à être plus canalisées, moins brouillonnes…. En revanche, le bel escalier qui manifeste le lien entre les monde est superbement évocateur.
A vrai dire, la direction d’acteur de Rodula Gaitanou pêche par manque de précision, tendance au surjeu, et la plupart des personnages, à un moment ou un autre, semblent se déplacer ou agir de manière extérieure, mécanique, comme si leurs motivations n’étaient pas claires pour eux. Un retravail plus affûté permettrait aisément de gommer ce défaut qui exclut le spectateur de l’histoire et nuit à son plaisir.
Le plateau scénique, fort équilibré, fait la part belle à des voix toutes puissamment projetées, bien timbrées qui régalent l’oreille.
Corine Winters met un peu de temps à entrer pleinement dans le rôle de Rusalka, gênée manifestement par certains déplacements et accessoires. Son beau soprano à la brillance et aux poitrinés éminement séduisants s’épanouit toutefois au fil de la soirée avec de superbes moments. Les duos avec Anton Rositskiy sont particulièrement réussis tant les deux timbres s’harmonisent. Ce dernier bénéficie d’un ténor clair et franc, joliment projeté ainsi que d’un joli travail de couleurs. Il est fort touchant dès l’air de la fin du premier acte.
Les interventions du père de Rusalka, Evgeny Stavinsky, sont toutes aussi convaincantes : la voix est puissante et équilibrée.
Face à lui, Nino Surguladze remporte tous les suffrages en Ježibaba magnifiquement grimée, terrifiante car agitée de tics dont on ne sait si ils sont empruntés aux crabes ou à Tim Burton : elle marche de côté, agite ses doigts comme des antennes… Ici, le travail du personnage a été suffisamment fouillé, pour le meilleur. Formidable vocalement, elle occupe tout le plateau de sa voix souveraine aux graves tout de velours lustré.
Jana Kurucová en princesse étrangère mérite les mêmes éloges ; impérieuse, flamboyante scéniquement comme vocalement, elle ne fait qu’une bouchée du prince.
Les seconds plans tiennent parfaitement leur rôle, les trois nymphes Lucie Kaňková, Kateřina Hebelkova et Sofia Janelidze, comme Hongni Wu en garçon de cuisine terrifié ou encore Alexander Marev prometteur en chasseur plein d’aplomb. Notons enfin la belle prestation de Jiří Rajniš en garde forestier que l’on aurait aimé plus entendre.
Sublimement habillés de noir, les chœurs dirigés par Denis Segond, sont à la fois précis et riches vocalement. Ils complètent parfaitement la superbe proposition de l’Orchestre de l’Opéra Royal De Wallonie-Liège sous la baguette attentive et très maîtrisée de Giampaolo Bisanti qui traite l’ensemble de la partition, et plus particulièrement les nombreux passages instrumentaux, avec beaucoup d’intelligence et de poésie, enrichissant la pâte sonore de nuances tour à tour diaprées, fragiles ou dévastatrices.