Le Requiem allemand de Brahms figure assurément au panthéon de bon nombre d’amateurs de musique vocale. L’œuvre est d’une intensité rare, deux solistes – une soprano et un baryton – y tiennent de très belles pages mais c’est assurément le chœur qui a le premier rôle. Présent tout au long de l’œuvre, il offre des contrastes somptueux. De la douceur extrême du Selig sind qui ouvre et clôture l’œuvre à la grande marche puissante et éclatante – celle qui ramène l’homme à la poussière – du Denn alles Fleisch, es ist wie Grass, le chœur explore une palette de nuances infinies. Les textes, choisis et combinés par Brahms lui-même, sont issus de la bible de Luther et ne correspondent à aucun canon liturgique. Il s’agit avant tout d’une œuvre sur la place de l’homme dans le monde ce qui, en dernière instance, passe par une longue méditation sur la place de la mort dans nos vies. Œuvre de contrastes, elle exige de ses interprètes une intelligence musicale qui leur permette de parcourir tous les sentiments qu’éprouve l’homme face à l’angoisse de la mort et à l’espoir de la résurrection. L’orchestration y est, à tout moment, d’une grande richesse et d’une parfaite lisibilité. Loin de lui assigner une fonction de simple accompagnement, Brahms a mis dans la partition d’orchestre tous les éléments qui caractérisent ses symphonies : outre l’écriture qui confère à chaque pupitre un intérêt mélodique propre, il développe une véritable science des couleurs et des timbres, ainsi que de leurs combinaisons.
L’interprétation offerte par Alejo Pérez, le Symfonisch Orkest Opera Ballet Vlaanderen, le Koor Opera Ballet Vlaanderen, Lenneke Ruiten et Wolfgang Stefan Schwaiger le 25 septembre dernier à l’Opéra d’Anvers n’a pas déçu.
La direction d’Alejo Pérez est ciselée et inventive. Il prend le temps d’appuyer les moments les plus intenses, quitte à introduire des rallentandos surprenants à la première écoute mais, à la réflexion, parfaitement appropriés. Dans le Denn wir haben hie keine bleibende Statt en particulier, il peine parfois à contenir l’orchestre que rien ne semble pouvoir arrêter.
Avec Wolfgang Stefan Schwaiger, nous découvrons un baryton somptueux. La projection est parfaite, la voix est canalisée à l’avant du masque mais ne manque pas d’ampleur, le vibrato est idéal, la sonorité toujours égale. Si l’on sent que la voix doit encore s’élargir (en particulier dans le deuxième solo), on ne doute pas que Schwaiger figurera rapidement au rang des interprètes de référence dans sa tessiture. Voilà une magnifique découverte et un artiste dont nous suivrons attentivement la carrière.
Lenneke Ruiten est musicalement très investie et offre une prestation poignante. La voix est charnue mais manque d’ampleur et reste un peu voilée, comme si les résonateurs de la région nasale n’étaient pas mobilisés. On l’a déjà entendue dans des répertoires qui semblaient vocalement mieux lui convenir.
Le chœur, préparé par Jan Schweiger, explore comme il se doit la quasi-intégralité de ses possibilités expressives. L’homogénéité est parfaite, l’attention au texte est extrême (les consonnes finales auraient parfois pu être adoucies). Lointain dans le Selig sind, die da Leid tragen, il ne tarde pas à s’affirmer pour atteindre des sommets de puissance dans le Denn wir haben hie keine bleibende Statt et retourner au néant qui précède et suit toute vie dans le Selig sind die Toten. Les équilibres entre voix, entre chœur et orchestre et entre chœur et solistes sont adaptés à la salle.
Si les qualités intrinsèques au Deutsches Requiem suffisent peut-être à porter l’auditeur vers les sommets, les qualités de l’interprétation permettent de toucher des zones d’émotion rarement sollicitées. Dans le cas présent, elles ont intensément vibré.