Couplage idéal que celui des Quatre chants graves (plutôt que « sérieux », ambigu) et du Requiem allemand de Brahms ; empreints de la même ferveur, à presque quarante ans de distance, ils participent de la même démarche : quelques versets bibliques, soigneusement choisis, vont motiver une réflexion sur la mort, inexorable, redoutée et apaisée.
Les Vier ernste Gesänge sont ci confiés à Kresimir Strazanac, baryton, et à l’Orchestre des Champs-Elysées, que dirige Philippe Herreweghe. Le programme ne dit pas que c’est dans l’orchestration récente d’un compositeur flamand – Henk de Vlieger – que nous l’écoutons. Même si l’on est en droit de préférer la version originale, où le piano monochrome, incisif, est le meilleur compagnon du chanteur, cet arrangement n’est pas dépourvu d’intérêt. Les couleurs des bois (dans le deuxième lied), de la réponse des trombones (dans le troisième) sont très brahmsiennes. La mort amère se fait douce aux humbles, dans le troisième, le sommet, « O Tod, wie bitter bist du ». L’émotion y est pure, lumineuse, malgré l’amertume de la première sentence et le tempo relativement rapide imposé par la direction. Le chant est modelé, avec une émission splendide dans toutes les nuances, conduit et articulé de façon exemplaire. Le quatrième est la voie vers l’Amour, qui donne sa vérité à la vie. Il confirme l’intelligence que le soliste a du texte.
Nourri tout au long de sa vie de la Bible de Luther, Brahms refuse tout dogme et aborde la mort en humaniste spiritualiste davantage qu’en chrétien, conférant ainsi une portée universelle à son œuvre, élaborée patiemment durant presque quinze ans. Judicieusement choisi et assemblé par le compositeur, le texte porte l’oeuvre. Confié essentiellement au chœur, il permet cependant aux solistes d’intervenir opportunément, dans la magnifique et longue imploration de « Herr, lehre doch mich » du baryton, comme dans le « Ihr habt nur Traurigkeit » de la soprano, et enfin, au numéro suivant, dans le dialogue entre le chœur et le chanteur. C’est peu dire que Philippe Herreweghe, empreint de culture germanique, fréquente de longue date le Requiem allemand *. Attentive, appliquée, sa direction, pour nous éviter la tiédeur mièvre, nous vaut une lecture quasi expressionniste de la partition. Il impose ponctuellement certains tempi limites (le « Langsam » devient « quasi allegretto ») des nuances où les forte se font fortissimo. Si l’aspect dramatique en sort parfois renforcé, la gravité, la majesté y perdent, manifestement. Ceci ne doit pas occulter la réalisation magistrale dont le Collegium de Gand est le principal acteur. Homogène, équilibré, virtuose, le chœur s’y montre sous son meilleur jour, au plus haut niveau. Même lorsqu’il paraît être livré à lui-même, dans les fugues les plus périlleuses, il affiche une assurance sans pareille. L’orchestre des Champs-Elysées ne démérite pas, avec une petite harmonie remarquable.
L’imploration du baryton, comme son dialogue avec le chœur (sixième mouvement) sont un modèle du genre. L’humilité sincère, la ferveur nous touchent, servies par une émission claire, avec une large palette expressive. La plénitude du chant, la conduite de la ligne sont exemplaires. La voix de Kresimir Strazanac est ample, généreuse, colorée, à la diction idéale, et témoigne d’une rare intelligence du texte.
La soprano, Ilse Eerens, menue, placée devant les cors, n’intervient que dans le cinquième mouvement (« Hier habt nur Traurigkeit »). Elle étonne par sa voix puissante, bien projetée, avec un soutien constant de la ligne, le timbre est proche de l’idéal. Les subtils équilibres entre la soliste, le chœur et l’orchestre sont dosés de façon exemplaire.
Ce programme sera donné à Paris ce lundi 17 octobre au Théâtre des Champs-Elysées.
* Il l’enregistra il y a exactement 20 ans, avec Christiane Oelze et Gerald Finley comme solistes (Harmonia Mundi), les chœurs étaient préparés par Joël Suhubiette.