Une production qui roule depuis dix ans au Deutsche Oper de Berlin au rythme de deux ou trois représentations par saison ; une mise en scène signée Kirsten Harms finalement classique dans un décor épuré de fosse ensablée conçu par Bernd Damovsky ; et pourtant une salle clairsemée pour cette œuvre de Richard Strauss qui attire généralement un public avide de sensations fortes et de frappes vocales.
Certes, les distributions qui se succèdent au fil des saisons n’affichent pas la même homogénéité… Celle de ce soir est contrastée à l’instar des costumes des chanteurs – seuls éléments décalés de la production.
Catherine Foster campe une solide Electre vêtue de l’éternelle nuisette blanche couverte d’une veste d’homme. Elle règne sur son bac à sable comme une tigresse. Elle s’y roule, s’y terre, en bondit pour lancer ses aigus éclatants et acérés. Pourtant elle s’économise volontiers dans ses longues vitupérations haletantes au point de lâcher du terrain que sa sœur Chrysothémis s’empresse d’occuper. La remarquable Alison Oakes au tempérament bouillant nous convainc d’autant plus qu’elle déborde d’une énergie vocale qui n’a d’égal que celle qu’elle met à s’extirper du bac à sable où elle s’est enlisée en escarpins…La Clytemnestre de Doris Soffel est plus spectaculaire par sa mise excentrique (à la Cruella d’Enfer des 101 dalmatiens) et menaçante (elle brandit une hache) que par son ramage. Toute la première partie de son intervention chantée par une ouverture pratiquée dans le haut de la fosse manque de percutant, tandis que la fin de sa confrontation avec Electre pèche par défaut d’hystérie.
Tobias Kehrer est un splendide Oreste au timbre sombre et généreux que Seth Carico chaperonne avec talent. Les piaillements d’Egiste sont très honnêtement interprétés par Clemens Bieber. Les deux serviteurs (Paul Kaufmann et Stephen Bronk) sont d’autant plus appréciés qu’ils sont les premières apparitions masculines dans l’opéra.
Servantes, suivantes et surveillante (en élégantes robes noires, colliers de perles, escarpins et coiffures sophistiquées) forment un bataillon plaintif et persiffleur – telles des épouses de diplomates en goguette échappées d’un cocktail – elles s’échouent dans l’univers fruste de la fosse, s’embourbent jusqu’aux mollets dans le bac à sable rivalisant de glapissements tantôt rauques tantôt criards pour s’en sortir.
Dans la fosse, Donald Runnicles et son orchestre réalisent des merveilles de puissances et de retenues. Le pupitre des cordes est remarquable tant dans ses fulgurances que dans l’exécution de ses précipités. Les percussions rythment magistralement les soubresauts de l’orchestre.